TV – « The Big Short » : comédie pédagogique en milieu schizophrénique
TV – « The Big Short » : comédie pédagogique en milieu schizophrénique
Par Jacques Mandelbaum
Notre choix du soir. Le cinéaste américain Adam McKay s’est mué, pour ce film, en critique avisé du système financier (sur Ciné + Premier à 20 h 45).
The Big Short Trailer (2015) ‐ Paramount Pictures
Durée : 02:34
Avec The Big Short, Adam McKay décale son angle de tir. Loin des délires absurdes et infantiles qu’il affectionne, le sujet est cette fois plutôt grave, puisqu’il s’agit de la crise des subprimes, étincelle inaugurale d’une crise économique mondiale. Adam McKay n’en signe pas moins un film drôle, mais d’un nouveau genre dans l’ordre du rire, qu’on pourrait nommer « comique pédagogique ».
Le défi n’est pas mince : il s’agit à la fois de divertir en montrant une brochette de personnages passablement allumés, mus par des affects schizophréniques, et d’informer le spectateur en lui expliquant les mécanismes spéculatifs financiers complexes qui nourrissent leur pathologie.
The Big Short, adapté du livre-enquête éponyme du journaliste Michael Lewis, raconte l’histoire d’une brochette de financiers qui, plus clairvoyants que les autres, ont décelé le caractère délictueux des prêts hypothécaires consentis aux particuliers par les banques, et vu venir l’énormité de la crise des subprimes qui allait s’ensuivre. Tout l’intérêt du film consiste à montrer comment ces personnages, qui ont raison contre leur milieu, vont se positionner à la fois professionnellement et moralement par rapport à ce qu’ils perçoivent comme une catastrophe annoncée.
Dramaturgie pleine de tension
C’est très exactement en cette délicate articulation que le film gagne ses galons. Car, si tous entrent en lutte contre la gigantesque manœuvre qui gangrène les milieux financiers, c’est essentiellement par les mêmes moyens et pour les mêmes fins : la spéculation financière, l’enrichissement personnel, le shoot d’adrénaline.
Ces hommes ont beau être dans le vrai, ils n’en misent pas moins sur l’effondrement général, des spéculateurs comme de leurs victimes, pour mettre du beurre dans leurs épinards. Voilà en un mot la grandeur de The Big Short, qui est de nous rappeler que la probité ne sort jamais gagnante d’un système où l’ultime valeur, le serait-elle au nom d’une certaine définition du bien public, est le profit.
Loin d’être sentencieuse, cette petite leçon de choses néolibérales s’appuie sur une dramaturgie pleine de tension, filme le huis clos à la manière d’un documentaire, ose des caméos brechtiens de la meilleure eau (diverses vedettes appelées à trivialiser en plein milieu de l’action les concepts financiers abscons), tire enfin grand profit d’acteurs à l’abattage frénétique. Christian Bale campe impérialement Michael Burry, ex-neurologue, génie des algorithmes, gestionnaire de fonds excentrico-autarcique, amateur de rock metal et massacreur de batterie, inventeur du mécanisme qui permettra à tous les personnages du film de rafler la mise au moment où Wall Street la perdra.
Jeremy Strong, Rafe Spall, Hamish Linklater, Steve Carell, Jeffry Griffin affrontent Ryan Gosling. / LIONSGATE/JAAP BUITENDIJK
Steve Carell, grande mèche teinte rabattue sur le front, incarne Mark Baum, sorte de Saint-Just perpétuellement indigné d’un milieu dont il fait pourtant partie, ce qui l’énerve encore plus.
Ryan Gosling est Jared Vennett, un jeune loup de Wall Street froid comme la mort, qui a lui aussi senti le coup venir. Finn Wittrock et John Magaro interprètent quant à eux deux jeunes ambitieux gestionnaires de fonds qui vont s’adjoindre le concours d’un ex-tradeur devenu un intégriste de l’écologie (Brad Pitt) pour jouer dans la cour des grands. Autant de héros dont la victoire sera célébrée par un désastre, invitant à considérer The Big Short comme une tragédie qui ne dit pas son nom.
The Big Short, d’Adam McKay. Avec Christian Bale, Steve Carell, Brad Pitt (EU, 2015, 130 min).