« Aldo », le boxeur du camp d’en face
« Aldo », le boxeur du camp d’en face
Par Corentin Lesueur (Envoyé spécial à Limoges, Haute-Vienne)
Le Limougeaud, figure de la communauté gitane locale, affronte Tony Yoka, samedi 7 avril, à Paris. Ils représentent ce que la boxe professionnelle a de plus extrême.
Cyril Léonet, au milieu de sa famille, dans le camp gitan où il habite à Panazol (87) près de Limoges. / CLAUDE PAUQUET / VU / « Le Monde »
Dans la petite aire d’accueil aménagée pour les gens du voyage en contrebas d’une route départementale, près de Limoges (Haute-Vienne), le prochain combat d’« Aldo » est de tous les échanges. En ce début de mois de mars, les hommes négocient l’affrètement d’un bus pour monter à Paris autour d’un barbecue où déborde la carne.
Leur champion, « Aldo le gitan », Cyril Léonet de son vrai nom, y affrontera Tony Yoka, le 7 avril, au Palais des sports de Paris. A eux deux, ils représentent ce que la boxe professionnelle a de plus extrême. Depuis son titre olympique au Brésil en 2016 dans la catégorie reine, Tony Yoka, 25 ans, a pris du coffre, est passé professionnel, a paraphé un contrat à plusieurs millions avec Canal+, avant de s’installer aux Etats-Unis. Gilles Martin, entraîneur d’Aldo : « Il y a d’un côté une boxe faite de bricolage et de bouts de ficelle, celle des combats de dernier moment et des trucs de raccroc : la nôtre. Et de l’autre, la boxe où tout sourit, tout s’offre à vous, sans se poser la question de comment payer le loyer : celle de Yoka. »
Annick, la mère de Cyril Léonet, ne montera pas à Paris. La carrière de son fils, elle en est « fière mais sans plus ». « J’aime pas la bagarre. Quand il boxe, je m’enferme dans la caravane et j’éteins tout. Je ne veux rien voir, rien entendre. J’attends juste qu’une nièce m’appelle pour m’avertir de la fin du combat. Qu’il perde ou qu’il gagne, je m’en fous. Je veux juste que ce soit terminé. »
Sur la placette improvisée au milieu des caravanes, difficile de trouver d’autres voix dissonantes. Tout le monde dit sa « fierté » d’assister à l’adoubement national du « grand frère Aldo ». « Quand quelqu’un ici s’élève, c’est toute la communauté qui monte avec lui », dit Jean-Nicolas, l’aumônier des nomades du coin.
La bagarre, « une coutume »
Aldo jouit d’une aura particulière au sein de la communauté gitane. Côté pile de la gloire : le boxeur de 34 ans est le « modèle » des gamins de l’aire d’accueil qui ne se font pas prier pour offrir une démonstration d’arts martiaux. Côté face : le Limougeaud doit assumer le rôle de médiateur dès que le conflit pointe.
« Les gens me sollicitent souvent, souffle le boxeur. Ils savent que je sais gérer les conflits et faire la part des choses. C’est mieux de régler les tensions à l’amiable que de se bagarrer et se tirer dessus. » Une charge particulièrement lourde quand les disputes les plus minimes peuvent dégénérer en batailles sanglantes entre familles. « Quand il y a un problème grave, il en est informé et doit trouver rapidement la bonne solution, constate Gilles Martin. (…) Il faut avoir un peu de hauteur et arrêter le conflit avant qu’il naisse. Une fois que c’est amorcé, ça finit toujours mal, en prison ou avec des cartouches. »
Le 7 avril 2018, le Limougeaud Cyril « Aldo » Léonet affrontera le champion olympique des lourds, le français Tony Yoka, lors d'un combat en dix rounds au Palais des sports de Paris. Entraînement à la salle de boxe, à Limoges. / Claude Pauquet/VU’ pour le Monde
Son rang dans la communauté, Aldo pense le devoir bien plus à « [son] statut d’homme » qu’à la notoriété acquise dans son sport. « Ici, tout le monde le respecte et le considère comme une personne droite, rapporte Carl, son beau-frère. Il a assumé des responsabilités et surmonté beaucoup de difficultés depuis tout petit. »
Au volant de sa grosse berline allemande, lunettes de soleil massives vissées sur le nez, le boxeur évoque une jeunesse marquée par l’obligation de « devenir un homme » et où la bagarre tenait lieu de « coutume » : « Sans être un Rambo, il faut savoir se défendre et se faire respecter. Dans notre communauté, un homme ne peut pas être faible, ce n’est pas possible. Il est celui qui dirige tout, qui guide la famille et la nourrit. »
Les bagarres et luttes quotidiennes contre les « galères » ont plus rythmé l’adolescence du jeune Gitan que les séances de boxe : « Avec la vie qu’on avait, à n’être jamais au même endroit, on ne pensait pas au sport mais à survivre. »
« On signait à des prix dérisoires »
A 17 ans, Aldo choisit la salle où s’entraîne un cousin « pour s’entretenir et perdre du poids », accusant jusqu’à 125 kilos sur la balance. Il ne s’en éloignera que le temps d’un « petit souci avec la justice » et d’un séjour d’un an en prison pour recel de vol. A sa sortie, il retrouve un ancien ami de la famille, passé lui aussi derrière les barreaux. Condamné pour association de malfaiteurs en lien avec le grand banditisme, Gilles Martin a purgé sept ans de prison. Le couple d’ex-taulards ne se quittera plus.
« Il y a dix ans, on est reparti tous les deux à zéro, une main devant, une main derrière, raconte le mentor d’Aldo. On a une bonne étoile, faut pas se raconter des histoires. Mais il y a aussi eu un boulot énorme. » Alternant les piges dans la sécurité ou la maçonnerie avec des combats négociés et préparés à la va-vite, le duo parvient à se faire remarquer dans le petit monde de la boxe française. « Dès qu’on avait de l’argent, on bloquait trois semaines, trouvant des adversaires au gré de nos connaissances, se rappelle le coach. On signait souvent à des prix dérisoires, sans stabilité. C’est pour ça qu’on se retrouve avec pas mal de défaites. »
Lesté de neuf revers pour treize victoires et trois nuls, Aldo a tout de même détenu la ceinture de champion de France des poids lourds entre 2015 et 2017. Une « grande fierté » pour celui qui pavoise son protège-dents du drapeau tricolore mais regrette que le carnet de circulation des Gitans soit toujours d’actualité.
Cyril Léonet à gauche avec son manager, Gilles Martin. / CLAUDE PAUQUET / VU / « Le Monde »
Sur la piste d’athlétisme qui jouxte le palais des sports de Beaublanc, l’antre mythique des basketteurs du CSP Limoges, Aldo peine à boucler la dernière série de fractionné sous les ordres de Bernard Faure, ancien champion de France de marathon. Depuis 2013, l’ex-consultant de France Télévisions peaufine la préparation physique du boxeur. Sa rencontre avec le rejeton d’une communauté gitane « cadenassée, cadastrée, (…) parquée à l’endroit le plus moche de la terre » fut un choc : « ce qu’a fait Aldo est phénoménal. Il se reposait sur ses qualités naturelles, avec la vie d’un travailleur de force à côté. Ce n’était pas jouable. Il est passé professionnel dans le cœur, mais dans les faits… Il n’a pas découvert l’autre facette du professionnalisme [l’encadrement et les revenus], qui permet de soutenir tout ce qu’il fait. Et c’est dramatique. »
Le Limousin « élevé à la châtaigne et aux pommes de terre » sait qu’il lui faudra un exploit pour terrasser Yoka, dont la conquête du titre mondial est mise en péril par une procédure disciplinaire, pour trois absences à des contrôles antidopage (no shows). « Tous les points seront en notre défaveur : la taille, la jeunesse, le talent, énumère Gilles Martin. Mais il y a un point qu’il ne pourra jamais nous prendre, c’est le courage. » L’objectif, pour ce combat qui rapportera à Aldo à peine plus qu’un championnat de France, sera de ménager à la fois sa santé et sa dignité. « Si j’estime qu’il va trop loin dans la souffrance, si je jette l’éponge, je sais qu’il va m’en vouloir. Mais il a des enfants, une vie après la boxe, je ne veux pas ramener un légume. »