Dominique Perrault, architecte de Paris-Longchamp : « le principe de l’hippodrome est plus subtil que celui d’un stade »
Dominique Perrault, architecte de Paris-Longchamp : « le principe de l’hippodrome est plus subtil que celui d’un stade »
L’hippodrome de Longchamp va rouvrir ce dimanche après trois ans de fermeture pour travaux. Son architecte explique les principes qui ont guidé sa rénovation.
L’hippodrome de Longchamp, le 22 mars. / PATRICK KOVARIK / AFP
C’est le pari à 131 millions d’euros de France Galop pour attirer un nouveau public aux courses. Le théâtre du prix de l’Arc de Triomphe accueillera, après 3 ans de fermeture et de travaux, 34 réunions annuelles, dès le 8 avril, qui seront couplées à des offres événementielles variées destinées à attirer un public plus jeune, festif et « connecté ». Le projet, lancé en 2011, avait alors déchiré dirigeants et professionnels qui voyaient le moment mal choisi pour les finances de l’institution.
Architecte du vélodrome et de la piscine olympique de Berlin, de l’Arena de Rouen, du Centre de tennis de Madrid, Dominique Perrault travaille aujourd’hui sur le projet du village olympique de Paris 2024. Il revient sur les motifs qui ont inspiré sa structure lumineuse et modulable, son inscription dans le paysage du Bois de Boulogne.
L’hippodrome est-il un stade comme un autre ?
Ce n’est pas un bâtiment comme peuvent l’être des arènes pour le basket ou le football, il s’agit de quelque chose d’hybride. Si la dimension sportive existe, il se passe mille choses ailleurs et autour de la tribune. Le public bouge : vous allez du rond de présentation à la piste, vous traversez la tribune. Les gens s’arrêtent en cours de route, discutent, jouent, prennent un verre ou se rassemblent dans les gradins ; l’idée est justement de faciliter ce mouvement et que, finalement, il n’y ait ni devant ni derrière. L’absence de murs a aussi permis que la tribune s’intègre au paysage. Le principe de départ était celui-ci : de grands plateaux ouverts à 360° sur Paris ou avec des vues en contre-plongée.
Quand on monte dans les tribunes, par exemple, il y a des endroits où on ne voit que le ciel. Ou bien, on est à l’étage supérieur, et l’on ne voit que la piste. On a un monochrome vert au sol, le gazon, et un monochrome bleu, le ciel, au plafond. C’est un travail minimaliste, presque d’abstraction. On n’a pas besoin de grandes explications architecturales, c’est assez immédiat, perceptible et spontané, comme le mouvement. On monte, on descend, on voit le ciel, on voit le sol, et on passe d’un côté à l’autre.
Vos réflexions initiales vous ont-elles porté vers le cheval ou vers cette « clairière » du Bois ?
J’ai pensé aux deux dans le sens où la nouvelle tribune devait être plus basse, plus courte (220 contre 330 m) que la précédente. La clairière devenait de fait bien plus présente. Le Bois étant classé, l’enjeu a été de créer un dialogue avec Adolphe Alphand1, de sublimer son travail sur le paysage qui date du xixe siècle. Ce qui apparaît est un dessin géométrique, romantique certes, mais cela reste une géométrie. À partir de cela, nous avons fait une lecture contemporaine de cette période avec des éléments qui sont comme des échos, tel, par exemple, le passage des chevaux près des tribunes qui va vers la piste, visible depuis les terrasses. L’aménagement d’espaces comme la grande pelouse, qui peut accueillir des installations temporaires, va dans le même sens ; la promenade de planches2 qui y mène rappelle celles de Deauville, qui sont l’œuvre de l’architecte Charles Adda. Ce n’est pas innocent car il est aussi l’artisan de la tribune du pavillon3.
Ces échos sont liés à l’histoire, pour restituer une culture plutôt qu’un patrimoine. Le paysage et les tribunes sont liés au cheval, cet animal extrêmement puissant qui s’enroule sur lui-même quand il court. Cette idée de mouvement donne presque une cinétique au bâtiment lui-même. Les tribunes de stade, souvent, sont statiques. Le spectateur est dirigé vers le terrain. Le principe de l’hippodrome est plus subtil, on est en 3D, tout est ouvert, on peut regarder partout mais on va vers la piste parce que l’ensemble des plafonds, par leurs inclinaisons, fait converger naturellement notre regard vers elle. Cela me plaisait cette non-obligation à regarder l’événement et aussi, pour moi, d’inciter les gens à le regarder. Dans un hippodrome, il y a une façon d’en être ou de ne pas en être tout en y étant…
À l’arrivée, un jockey déséquilibre son cheval en le poussant vers l’avant pour qu’il avance plus vite ; votre tribune s’inspire de ce déséquilibre ?
C’est l’idée du cheval au galop. Le point de convergence est situé au niveau de l’arrivée, là où le déséquilibre doit s’opérer, parce que là, il faut y aller. Si je puis dire.
Les hippodromes des années 1960-70 étaient des lieux avec des barrières physiques et sociales. Avez-vous voulu gommer celles-ci ?
Le monde hippique évolue. Des gens divers se regroupent pour, par exemple, acheter, élever des chevaux. Les nouveaux propriétaires et le public aspirent à un espace moins sectorisé. Cette architecture participe de ce mouvement. Les séparations sont plus souples, on peut les régler comme un curseur. Ainsi, lors d’événements moins sélectifs, les suites peuvent être transformées en passage pour aller au grand salon en belvédère. Ça me plaît, parce que cela donne une responsabilité encore plus grande au gestionnaire de l’hippodrome. Il a un outil qu’il peut régler comme il l’entend, avec différents usages et fonctions. Nous verrons donc comment les publics seront accueillis dans une structure très poreuse et organisable afin que tout le monde puisse être ensemble au même moment, dans un même lieu à partager.
Quelle a été votre touche en ce qui concerne les lieux réservés aux chevaux ?
Le rond de présentation en est le cœur. Il fallait le déplacer pour qu’il soit en cohérence avec l’historique tribune du pavillon de 1921 qui attend d’être rénovée, et l’agrandir tout en conservant des arbres centenaires, dans la tradition française. On en a aussi planté d’autres, les arbres ayant un effet déstressant sur les chevaux. Pour compléter le dispositif, nous avons ajouté 50 boxes et un rond dans le paddock. Avec le totaliseur4, cela forme un ensemble patrimonial. Notre volonté a été de permettre le contact avec l’avant-course, sans barrière visuelle. Le rond est plus long, il y a plus de places en tribune. De l’autre côté, sur l’espace avec des guinguettes, on peut penser y installer un autre rond pour les ventes de yearlings, par exemple.
Est-ce que les courses de chevaux vous intéressent ?
Je ne suis pas un parieur. Ce qui me plaît, c’est la force et la puissance du cheval, mais aussi la dimension à la fois populaire et aristocratique des courses. Je réfléchis aussi en ce moment au Musée vivant du cheval de Chantilly qui doit être financé par la fondation de l’Aga Khan, c’est un beau projet.
Propos recueillis par Olivier Villepreux
1 Il a, entre autres, redessiné le Bois de Boulogne sous le Second Empire.
2 Elles sont ici en béton.
3 Et aussi de celle de Chantilly.
4 Le totaliseur est un bâtiment de la fin des années 1920 qui abritait les premières calculatrices nécessaires aux cotes attribuées à chaque cheval.