Macron dialogue avec les catholiques
Macron dialogue avec les catholiques
Par Cécile Chambraud
Les évêques de France invitent pour la première fois un président de la République.
Emmanuel Macron et Dominique Lebrun, archevêque de Rouen, lors du premier anniversaire de l’assassinat du prêtre Jacques Hamel, le 26 juillet 2017. / DAMIEN MEYER / AFP
L’admirable nef cistercienne du Collège des bernardins, à Paris, devait accueillir une rencontre sans précédent, dans la soirée du lundi 9 avril. Pour la première fois, la Conférence des évêques de France (CEF) a invité le président de la République autour d’un buffet. Jamais auparavant, la hiérarchie de l’Eglise catholique n’avait organisé dans ses murs un tel rendez-vous avec le premier représentant du pouvoir politique. Mgr Georges Pontier, le président de la CEF, et Emmanuel Macron prononceront un discours à cette occasion.
L’actualité commune ne manque pas, à commencer par la révision des lois de bioéthique. La CEF s’est beaucoup investie dans cette question. Lors de leur assemblée de printemps, les évêques ont adopté, sous une forme très solennelle, une déclaration sur la fin de vie (« Fin de vie : oui à l’urgence de la fraternité »), symboliquement signée par chacun d’entre eux, qui énonce six raisons de s’opposer à « la légalisation d’une assistance médicale au suicide et à l’euthanasie ». Sous la direction de Mgr Pierre d’Ornellas, l’archevêque de Rennes, ils ont mis des fiches thématiques à la disposition des fidèles désireux de s’engager dans les débats des états généraux, organisés par le Comité national d’éthique dans toute la France.
Ils n’ont pas oublié que, lors d’un colloque commémorant les 500 ans de la Réforme protestante, en septembre 2017, Emmanuel Macron avait invité ceux qui se reconnaissent dans des croyances religieuses à participer à ce débat au risque de la « controverse », préalable selon lui à des « consensus féconds ». « La manière que j’aurai d’aborder ces débats, avait dit le chef de l’Etat, ne sera en rien de vous [les courants religieux] dire que le politique a une prééminence sur vous et qu’une loi pourrait trancher ou fermer un débat qui n’est pas mûr. » Cette promesse de modestie de la part de l’exécutif n’était pas passée inaperçue avenue de Breteuil, siège de la conférence épiscopale, où on attend de voir jusqu’où elle engagera le chef de l’Etat.
« Un climat politique nouveau »
L’invitation des évêques répond à une évolution de fond et à une considération d’opportunité. La considération d’opportunité, c’est le sentiment, du côté de la hiérarchie catholique, que l’élection de M. Macron a entraîné « un climat politique nouveau » dans les relations de l’Etat avec les courants religieux. « Chez lui, les religions ont une place au cœur de la société », indique-t-on à la CEF. Concernant les sujets abordés par les lois de bioéthique, avait dit le chef de l’Etat lors de ses vœux aux cultes, « il est impensable de penser trouver le bien commun de notre société sans prendre pleinement en considération [les différents courants de pensée, y compris religieux] ». La hiérarchie catholique a apprécié l’emploi du concept de « bien commun », emprunté à son vocabulaire théologique.
L’évolution de long terme, qui a conduit à cette rencontre, c’est celle de la place du catholicisme dans la société. Depuis les années 1960-1970 et l’effondrement de la pratique religieuse, l’Eglise a progressivement pris acte qu’il y est devenu minoritaire. Pourtant, souligne le sociologue Philippe Portier, pour des raisons à la fois théologiques et historiques, l’Eglise catholique considère y avoir une place distincte des autres cultes. « L’Eglise ne se conçoit pas et ne se donne pas à voir comme une religion comme une autre, explique-t-il. Elle ne prétend pas défendre des intérêts communautaires ou catégoriels, mais l’intérêt général. Elle montre qu’elle est encore capable de produire de l’universel, échappant à son statut quantitatif de minorité. »
S’adresser à l’ensemble de la société
C’est précisément le sens du « programme » et de la mise en scène de la rencontre de lundi. Les près de quatre cents invités de tous horizons (politiques, hauts fonctionnaires, responsables d’autres cultes, représentants du monde de l’entreprise, de la culture) permettront à l’Eglise de s’adresser à l’ensemble de la société, dans un Collège des bernardins conçu comme un lieu de rencontre entre l’Eglise et la culture.
Les thématiques choisies, souligne-t-on à la CEF, concernent non pas les seuls catholiques, mais l’ensemble de la société. Avant les deux discours, trois « duos » de personnes témoigneront de l’importance du lien social pour aider les personnes en situation de fragilité : un autiste et son frère, un sans-domicile-fixe et un volontaire qui l’accueille, une personne âgée et un bénévole qui l’accompagne. La hiérarchie catholique a renoncé à présenter une personne en fin de vie pour ne pas « instrumentaliser une fragilité ». Le buffet sera pourvu par La table de Cana, réseau de traiteurs fondé par un jésuite et qui aide des chômeurs à se réinsérer.
On notera que la CEF a évité de mettre en scène un demandeur d’asile, l’accueil des réfugiés étant un sujet de désaccords entre catholiques. Alors que des associations d’aide aux migrants, y compris catholiques, avaient demandé le retrait de la circulaire permettant le recensement des migrants en hébergement d’urgence, les évêques n’avaient pas repris à leur compte cette exigence. En outre, certains catholiques sont en désaccord profond avec le mot d’ordre d’accueil répété depuis des années par le pape François. Ce n’était pas le moment de gâcher cette première rencontre avec le président de la République par l’étalage de dissensions internes.
Les dates
Depuis son élection à la présidence de la République, Emmanuel Macron s’est rendu à l’invitation des principaux cultes représentés en France.
21 juin 2017. Invité du dîner de rupture du jeûne organisé, pendant le ramadan, par le Conseil français du culte musulman, il déclare aux musulmans : « Nous avons aujourd’hui en commun des combats à mener. »
22 septembre 2017. Lors du colloque organisé à la Mairie de Paris pour les 500 ans de la Réforme protestante, il affirme : « La laïcité, ça n’est pas une religion d’Etat. »
7 mars 2018. Au cours du dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France, il déclare : « La France ne serait plus elle-même si nos concitoyens juifs devaient la quitter parce qu’ils ont peur. La France se perdrait si elle devait admettre comme une fatalité du siècle la présence en son sein de l’antisémitisme. »