Macron veut « réparer le lien » entre l’Eglise catholique et l’Etat
Macron veut « réparer le lien » entre l’Eglise catholique et l’Etat
Par Cécile Chambraud
La laïcité n’a « pas pour fonction de nier le spirituel », a affirmé le président lundi soir devant la Conférence des évêques de France, défendant par ailleurs « l’humanisme réaliste » de sa politique migratoire.
Emmanuel Macron lors de son discours a la conférence des évêques de France, au collège des Bernardins à Paris, le 9 avril. / KAMIL ZIHNIOGLU POUR LE MONDE
Pendant une heure, lundi soir 9 avril, Emmanuel Macron s’est employé à ravauder les liens en voie de relâchement tissés entre les catholiques et la République. Au bout d’une heure, les représentants de l’Eglise catholique réunis au collège des Bernardins, à Paris, ont applaudi un président de la République qui a su mettre des mots sur leurs tourments et leur promettre d’avoir toute leur place dans la vie politique. M. Macron a mis à profit la première invitation lancée par la Conférence des évêques de France (CEF) au chef de l’Etat pour appeler les catholiques à réinvestir la « scène politique, nationale comme européenne », à y apporter la vision propre à leur foi, à ne pas se « sentir aux marches de la République » et à « retrouver le goût et le sel du rôle qu’[ils y ont] toujours joué ».
Ce discours demeurera comme fondateur pour une partie du catholicisme et comme provocateur pour une partie du laïcisme. Dans un pays « qui ne ménage pas sa méfiance à l’égard des religions », a lancé le locataire de l’Elysée au début de son intervention, « nous avons, vous et moi, bravé les sceptiques de chaque bord ». « Nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Eglise et l’Etat s’est abîmé, et qu’il vous importe à vous comme à moi de le réparer », a-t-il dit à son hôte, Mgr George Pontier, archevêque de Marseille et président de la CEF, devant quelque quatre cents invités.
« Les politiques ont profondément méconnu les catholiques »
Alors que les dernières élections, locales comme nationales, ont montré qu’une part croissante des catholiques pratiquants s’autorisaient désormais à voter pour le Front national, Emmanuel Macron a entrepris de les ramener dans le jeu républicain. Après le quinquennat de François Hollande, ressenti comme hostile par de nombreux catholiques qui s’étaient mobilisés contre le mariage gay, le chef de l’Etat a voulu annoncer un changement d’époque à ses interlocuteurs. Selon lui, pendant des années, « les politiques ont profondément méconnu les catholiques de France ». Les uns les ont instrumentalisés pour des raisons électorales, les autres les ont réduits au rang d’une « minorité militante contrariant l’unanimité républicaine ». Cette double impasse n’est plus tenable, à l’heure où « l’étoffe même de la nation menace de se déchirer », a-t-il affirmé.
Mais le catholicisme ne se résume pas aux anciens manifestants contre le mariage gay. Dans les appels d’Emmanuel Macron à l’engagement politique, figuraient en bonne place les catholiques investis dans les organisations caritatives et humanitaires, « composante majeure de cette partie de la nation qui a décidé de s’occuper de l’autre partie », celle des plus pauvres, des plus fragiles, des déshérités. « Je crains que les politiques ne se soient trop longtemps conduits comme si cet engagement était un acquis. Comme si c’était normal. Comme si le pansement ainsi posé par les catholiques sur la souffrance sociale dédouanait une certaine impuissance publique », a-t-il enchaîné. A tous ces volontaires, le chef de l’Etat a proposé de s’engager en politique dans le débat national et européen.
Emmanuel Macron a allègrement puisé dans le lexique catholique comme dans ses auteurs de référence, dans les citations évangéliques comme dans les textes du pape François pour prouver à son auditoire qu’ils parlaient un langage commun. Tout au long de son discours, il a expliqué que, bien qu’appartenant « à deux ordres institutionnels différents », l’Etat et l’Eglise n’en avaient pas moins tous deux une voix légitime sur les questions d’intérêt public, auxquelles l’Eglise apportait sa vision de l’homme. « C’est cela la part catholique de la France, a dit le président. C’est cette part qui, dans l’horizon séculier instille tout de même la question intranquille du salut, que chacun, qu’il croie ou ne croie pas, interprétera à sa manière ».
La laïcité « n’a pas pour fonction de nier le spirituel »
Le président de la République a approfondi sa vision de la laïcité, ébauchée lors d’interventions précédentes devant les représentants d’autres cultes. Elle tourne résolument le dos à ceux pour qui la laïcité doit maintenir les religions le plus loin possible du politique. « Je considère que la laïcité n’a certainement pas pour fonction de nier le spirituel au nom du temporel, ni de déraciner de nos sociétés la part sacrée qui nourrit tant de nos concitoyens, a-t-il affirmé. Je ne suis ni l’inventeur ni le promoteur d’une religion d’Etat substituant à la transcendance divine un credo républicain. »
Proposer aux catholiques de revenir pleinement dans le cercle de la vie publique ne signifie pas cependant faire droit à toutes leurs demandes. Les participants ont bien compris que sur la révision des lois bioéthiques, face à des « réalités contradictoires et complexes qui traversent les catholiques eux-mêmes », ils ne devaient pas s’attendre à avoir gain de cause sur tous les dossiers, notamment ceux qui concernent la procréation. « En écoutant l’Eglise sur ces sujets, a affirmé le chef de l’Etat, nous ne haussons pas les épaules. (…) Mais cette voix de l’Eglise, nous savons vous et moi qu’elle ne peut être injonctive. (…) Elle ne peut être que questionnante. »
Quelques instants auparavant, Mgr Pontier avait évoqué le spectre d’un « grand marché de la procréation » et l’opposition des évêques à un dispositif de suicide assisté. « Peut-on qualifier de dernier soin l’acte de donner la mort ? », s’était-il insurgé. Concernant les migrants, sur lesquels Mgr Pontier avait aussi attiré son attention, Emmanuel Macron a résumé la politique de son gouvernement par l’expression d’« humanisme réaliste ».
Mgr Pontier a affirmé que cette rencontre n’avait pas vocation à être systématiquement renouvelée. Cette première a cependant, à l’évidence, reçu un accueil très favorable dans la hiérarchie catholique. « J’ai bu du petit-lait, résumait ainsi le père Laurent Stalla-Bourdillon, aumônier des parlementaires. Il tend une perche à l’Eglise. Retisser des liens, c’est aussi faire en sorte que les religions ne se nécrosent pas seules dans leur coin. » « C’était absolument remarquable. Un discours fondateur sur la laïcité, sur la juste articulation du politique et du religieux, la place fécondante du questionnement, le caractère indispensable de la question du sens », expliquait Mgr Antoine de Romanet, évêque aux armées.