Audition du PDG de Facebook, Mark Zuckerberg : une discrète revanche de l’Europe
Audition du PDG de Facebook, Mark Zuckerberg : une discrète revanche de l’Europe
Par Alexandre Piquard
L’approche européenne, qui tente d’imposer des régulations aux grands groupes du numérique, semble gagner du terrain aux Etats-Unis, comme l’ont montré mardi les questions des sénateurs américains.
Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, face aux sénateurs américains, le 10 avril 2018. / WIN MCNAMEE / AFP
« Les Européens ont raison sur certaines choses », a admis Mark Zuckerberg devant le sénateur républicain Lindsey Graham qui lui demandait si les Européens avaient raison en matière de régulation. Bien sûr, le dirigeant de Facebook cherchait à ne pas donner entièrement gain de cause à ce parlementaire qui, avec 43 collègues, l’a auditionné plus de cinq heures, mardi 10 avril.
Mais entendre le fondateur, président-directeur général et actionnaire du plus grand réseau social du monde, l’un des plus célèbres représentants de la Silicon Valley, concéder du terrain à la logique du Vieux Continent est symbolique. Et résume en partie le changement d’ambiance politique aux Etats-Unis, autour du pouvoir des grandes plates-formes numériques et de leur possible soumission à des lois plus strictes.
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Mark Scott, journaliste spécialisé en technologies pour le site d’information américain Politico s’est amusé sur Twitter de l’évolution du discours :
« En 2017, l’avis des Etats-Unis sur l’approche européenne de régulation des entreprises technologique : “C’est un racket protectionniste destiné à nuire à l’Amérique !”
En 2018, l’avis des Etats-Unis après le dernier scandale de Facebook sur les données : “Ne pourrions-nous pas avoir les mêmes protections que l’Europe ?” »
L’inspiration du « RGPD » européen
Mardi, lors de l’audition, la sénatrice démocrate Maria Cantwell a renchéri : « Pensez-vous que la régulation européenne [en matière de vie privée] devrait s’appliquer aux Etats-Unis ? », a-t-elle demandé. Réponse de Mark Zuckerberg :
« Tout le monde sur la planète a le droit au respect de sa vie privée. […] J’imagine que les choses seraient un peu différentes aux Etats-Unis, où nous avons une sensibilité légèrement différente, mais nous voulons mettre en place partout dans le monde le “consentement éclairé” et d’autres choses qui sont contenues dans le RGPD [règlement général sur la protection des données]. »
Le patron de Facebook faisait référence au règlement qui doit entrer en vigueur dans l’Union européenne le 25 mai. Le réseau va-t-il appliquer partout ses principes, qui prévoient par exemple le droit de supprimer ses données ? Probablement pas. Mark Zuckerberg joue un peu sur les mots : le 5 avril, après avoir jugé le RGPD « très positif », il avait promis de mettre à disposition dans le monde entier « les mêmes contrôles et paramètres » sur la vie privée, mais « probablement » pas dans « le même format ».
Changement de ton après Obama
Il n’empêche : l’approche moins permissive envers les grandes entreprises du numérique, en vigueur dans l’Union européenne, gagne du terrain. « Ma position n’est pas qu’il ne faut pas qu’il n’y ait pas de régulation. La vraie question est : quelle est la bonne régulation ? », a rappelé Mark Zuckerberg, conformément au nouveau mot d’ordre adopté par l’entreprise en réponse aux pressions politiques.
Mardi, quelques sénateurs d’inspiration libérale ont bien rappelé le risque de « surréguler » le secteur technologique. Mais la tonalité a changé depuis l’époque où Barack Obama raillait les enquêtes anticoncurrentielles lancées par la Commission européenne, dans un entretien au site Recode en 2015 :
« Pour la défense de Google et Facebook, la réponse européenne est ici surtout guidée par des motivations commerciales. (…) Certains fournisseurs de services qui n’arrivent pas à concurrencer les nôtres essaient en gros de leur mettre des bâtons dans les roues. »
« Dans le domaine technologique, les Européens ont parfois l’impression d’être en retard, mais être en retard quand la direction générale n’est pas bonne… Ça peut vouloir dire être en avance », rappelle Cathy O’Neil, autrice d’un livre sur les dangers des algorithmes (Weapons of Math Destruction, Crown, 2016, non traduit), interrogée en marge du sommet sur l’intelligence artificielle organisé le 29 mars à Paris par le gouvernement.
Des élans politiques similaires des deux côtés de l’Atlantique
Aux Etats-Unis, de nouvelles réglementations pourraient voir le jour. Mardi, le sénateur démocrate Ed Markey a demandé à Mark Zuckerberg s’il soutiendrait le vote du « consent act », un projet de loi qui impose « comme en Europe » le consentement préalable d’un utilisateur avant de pouvoir utiliser ses données. « En principe oui, mais les détails importent », a esquivé M. Zuckerberg. Récemment, certains ont défendu la création d’une agence américaine de protection des données – un débat qui peut paraître surprenant vu d’Europe et particulièrement de France, où la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) applique depuis 1978 la loi du même nom.
Egalement évoqué mardi, le débat autour de la « responsabilité » de Facebook sur les contenus publiés fait écho à des discussions européennes : la révision en cours de la directive européenne sur les services de médias audiovisuels vise ainsi à renforcer les obligations des plates-formes numériques. Dans un autre domaine, Google a annoncé récemment la création de Google News Initiative, qui étend au monde entier son programme de soutien financier au journalisme, né en France en 2013 puis élargi à l’Europe en 2015.
Enfin, les attaques répétées de Donald Trump envers Amazon et son patron, Jeff Bezos, accusés de « ne pas payer leurs impôts » peuvent faire penser aux velléités de la Commission européenne d’imposer une fiscalité plus stricte aux grandes plates-formes comme Google et Facebook.
Cette petite revanche acquise, la route reste toutefois longue pour ceux qui rêvent d’une régulation complète des GAFA, aux Etats-Unis ou en Europe. Sur Twitter, le député européen et ancien premier ministre belge Guy Verhofstadt a en tout cas assuré mardi ne pas se satisfaire de cette première audition de Mark Zuckerberg :
« Dommage que les citoyens européens doivent s’en remettre aux sénateurs américains pour obtenir la vérité sur ce qui s’est passé avec leurs données. J’invite Mark Zuckerberg à venir devant le Parlement européen nous expliquer comment Facebook compte se mettre en conformité avec la législation européenne sur la vie privée. »