Depuis vingt ans, le style palace fait recette. Les meubles du Ritz sont estimés entre 100 et 5 000 euros. / ARTCURIAL

Du mardi 17 au samedi 21 avril, Artcurial met en vente 3 500 lots de meubles et objets provenant de l’hôtel Ritz à Paris. Au menu : tabourets de bar, fauteuil de barbier du salon de beauté, casier de concierge, présentoir de verres, fauteuils, rideaux, etc. Avec des estimations de 100 à 5 000 euros, la maison de vente appartenant aux Dassault a toutes les chances de faire des étincelles.

« Il y a dans ces établissements un confort flamboyant, un côté spectaculaire, du panache » François Tajan, coprésident d’Artcurial

Le scénario – éprouvé – est toujours le même. Un grand établissement de luxe fait peau neuve. Et le temps du lifting – ou tout de suite après comme dans le cas du Ritz –, tout doit disparaître ! La mode a été lancée voilà une vingtaine d’années par Jacques Tajan. Le commissaire-priseur parisien orchestrait alors ses grandes ventes de prestige à l’hôtel George-V. A la fermeture du palace en 1997 pour un rafraîchissement intégral, il a été chargé d’en céder le fond. Résultat : plus de 20 millions de francs. « C’était du délire absolu », se souvient son fils, François Tajan. Ce dernier, coprésident d’Artcurial, a repris le flambeau en organisant les ventes du Crillon et du Plaza Athénée en 2013, et de l’Hôtel de Paris à Monaco en 2015.

Tous ces grands hôtels ont un point commun : une décoration classique, avatar des styles Louis XVI, Empire et Napoléon III. « Il y a dans ces établissements un confort flamboyant, un côté spectaculaire, du panache, indique François Tajan. C’est un certain art de vivre, même s’il n’obéit pas aux canons de la modernité. » Bien que ridiculisé par l’irrésistible série télévisée de Jean-Michel Ribes, le « goût Palace » est plébiscité : ces ventes enregistrent 100 % de lots vendus.

Les grands hôtels font rêver

Artcurial a ainsi comptabilisé dix mille enchérisseurs lors de la vente du mobilier du Crillon. Ces acheteurs sont bien souvent occasionnels. « On ne les revoit plus jamais dans nos ventes », confie Fabien Béjean-Leibenson de la maison Pierre Bergé & Associés, organisatrice de la vente du Lutetia en 2014. Ce succès repose sur un seul ressort, le fétichisme. « Il y a une nostalgie pour ceux qui y ont séjourné et qui veulent une part de leurs souvenirs, et aussi pour ceux qui n’y sont pas allés et qui fantasment autour de la vie d’hôtel », résume François Tajan.

Ces grands hôtels font rêver autant que les memorabilia des stars, parce qu’ils représentent une page d’histoire, plus ou moins glorieuse. Le Lutetia fut pendant l’Occupation le quartier général des renseignements généraux nazis, avant d’accueillir les déportés à leur retour des camps de concentration. Mais l’hôtel fut aussi fréquenté avant-guerre par de grands écrivains, tels qu’André Gide ou Antoine de Saint-Exupéry. Albert Cohen y a même écrit son roman le plus célèbre, Belle du Seigneur.

Inauguré en 1898, le Ritz fut le lieu de prédilection des têtes couronnées et des milliardaires américains, mais aussi d’écrivains tels que Marcel Proust, qui y rédigea quelques scènes de sa Recherche, ou Ernest Hemingway, pilier du bar dès les années 1920. Quelques films légendaires du cinéma américain y furent tournés, comme Un Américain à Paris ou Funny Face (Drôle de frimousse, titre français).

« La provenance peut décupler la valeur des objets »

Ces pedigrees font mouche. Lors de la vente de l’Hôtel de Paris en 2015, les pièces de la suite Winston Churchill, un fidèle de l’établissement monégasque, ont crevé le plafond. Un simple retirage d’une photo représentant l’ancien premier ministre britannique, estimé 100 euros, s’est adjugé pour 9 200 euros. Lors de la vente du Crillon, une enseigne du restaurant estimée 2 000 euros s’est adjugée 20 000 euros. « La provenance peut décupler la valeur des objets, car les gens veulent s’approprier une parcelle de ce monde », indique Stéphane Aubert, directeur associé d’Artcurial. N’était leur origine, certains sièges du Ritz estimés aujourd’hui autour de 500 euros ne vaudraient guère plus que 50 à 100 euros dans une vente courante.

Ces dispersions sont toujours roboratives : 10 000 pièces en 3 500 lots pour l’Hôtel de Paris ; 3 000 lots pour le Lutetia ; 3 500 lots dans le cas du Ritz, qui seront vendus sur cinq jours. On pourrait frôler l’indigestion. Et pourtant, le public en redemande. « On ne pensait pas qu’un mobilier qui se répète de chambre en chambre se vendrait bien. Mais les gens n’étaient pas rassasiés après avoir vu cinquante fois le même canapé modèle corbeille », s’étonne encore Fabien Béjean-Leibenson.

« Un côté “prêt à installer” chez soi »

De manière très surprenante, les objets « de style », ou copies réalisées au XXe siècle, valent souvent plus cher que des originaux du XVIIIe ou XIXe siècle. « Beaucoup de ces meubles sont en très bon état car les établissements avaient leurs propres ateliers de tapisserie et d’ébénisterie, remarque François Tajan. C’est plus solide qu’un siège qui a deux cents ans. Il y a un côté prêt à installer chez soi. »

Qu’en est-il pour le mobilier d’artiste, présent au compte-gouttes dans ces établissements ? Au Crillon, le bar tout en facettes de César s’est vendu 324 800 euros. Mais ces pièces souvent uniques sont moins prises d’assaut que les objets sériels plus modestes traduisant l’esprit Palace. « Les prix sont plus importants que le mobilier classique, entre 15 000 et 50 000 euros, remarque Fabien Béjean-Leibenson, et du coup on touche plutôt nos amateurs habituels d’œuvres d’art. »

Ritz Paris, du 17 avril au 21 avril, Artcurial, Artcurial.com