Astria Fataki en mission pour électrifier les campagnes africaines
Astria Fataki en mission pour électrifier les campagnes africaines
Par Olivier Piot (contributeur Le Monde Afrique)
Avec son ONG Energy Generation, la Franco-Congolaise de 28 ans veut accompagner les porteurs de projets innovants pour l’accès à l’énergie en zone rurale.
Elle n’a que 28 ans mais peut déjà se prévaloir d’une longue expérience de terrain en Afrique. Son domaine d’activité ? L’électrification dans les zones rurales. En six ans de missions dans une dizaine de pays de l’espace subsaharien pour le compte de projets humanitaires et du secteur privé, la Franco-Congolaise Astria Fataki s’est peu à peu forgé une conviction : l’ingéniosité de la jeunesse africaine est un atout majeur pour relever ce défi.
En 2016, elle fonde à Lomé, la capitale togolaise, une ONG baptisée Energy Generation. Objectif : détecter et former des jeunes porteurs d’innovations qui pourront développer à grande échelle des solutions d’électrification made in Africa.
C’est très jeune qu’Astria Fataki, née en 1990 à Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo (RDC), s’exile en France avec ses parents. Etudes primaires et secondaires à Melun, en région parisienne, baccalauréat puis Sciences Po Paris jusqu’en master 2 (bac + 5). « La situation précaire de mes parents en France m’a très tôt sensibilisée à la pauvreté et aux injustices, raconte la jeune femme. Mon premier tropisme n’est donc pas d’emblée africain. Ce qui me touche avant tout, c’est la problématique du développement pour réduire les inégalités. »
« Des besoins vitaux et colossaux »
Elle participe donc à des missions humanitaires, au Guatemala, pour un programme d’éducation des enfants, mais surtout en Inde, en 2012. Astria Fataki y découvre l’action Lighting a Billion Lives (LaBL) portée par The Energy and Resources Institute et visant à développer des infrastructures solaires en zone rurale. De retour à Paris, elle s’associe à quatre autres étudiants de Sciences Po Paris pour créer LaBL France. L’objectif est d’adapter l’expérience découverte en Inde à des pays d’Afrique francophone. Car en matière d’électrification, le continent accuse de sérieuses carences : près de 600 millions de personnes n’ont pas accès au courant, soit 57 % de la population.
Premières missions, premiers voyages au Niger, au Mali et au Congo-Brazzaville, avec, dans chacun de ces pays, l’installation de microcentrales solaires dans des zones rurales reculées. Premières déceptions aussi : « Problèmes de dédouanement du matériel importé d’Inde, difficultés de suivi sur le terrain une fois les actions engagées, défaillance dans l’implication des partenaires locaux… J’ai rapidement vu les limites de ce modèle », reconnaît Astria Fataki.
Mais la jeune idéaliste ne se décourage pas. En 2014, elle intègre le bureau de prospective et de développement de Sunnvest, une société française qui cherche à construire, financer et entretenir des infrastructures d’électricité solaire en Afrique. Nouvelles missions au Mali et au Tchad, avec cette fois d’« ambitieux projets capitalistiques et industriels sur des centrales solaires ». Mais nouvelles frustrations : « La question de l’énergie en Afrique – notamment dans les villes – est confrontée à une contradiction. D’un côté, il existe des investisseurs privés avec d’importants moyens financiers mais qui cherchent forcément la rentabilité, et de l’autre, des besoins vitaux et colossaux pour lesquels il est difficile de trouver des fonds, faute de modèle économique viable. »
Partenaires publics et privés
Fin 2015, Astria Fataki a mûri ce qu’elle appelle dorénavant son « parcours africain ». Elle maîtrise cinq langues – le français, l’anglais, l’espagnol, mais aussi le lingala et le bambara – et s’est enrichie de ses « racines africaines » qui se sont « peu à peu révélées lors de [ses] voyages sur le continent ». En 2016, elle décide de s’installer à Lomé, portée par un nouvel enthousiasme pour « l’ingéniosité extraordinaire de la jeunesse africaine ». Et la jeune entrepreneuse de citer pêle-mêle les cas de « Duro-Aina [Adebola], cette collégienne du Nigeria qui a mis au point un générateur d’électricité fonctionnant à l’urine ; de ce jeune du Malawi qui, à 13 ans, a électrifié son village en fabricant une éolienne artisanale ; ou encore de Kelvin Doe, petit génie de Sierra Leone, qui a construit un générateur électrique à partir de déchets et de produits électroniques ».
C’est donc pour promouvoir ces technologies conçues localement et accompagner les jeunes qui les inventent qu’elle a fondé Energy Generation. L’ONG réunit plusieurs partenaires qui aident au financement de ses activités : des partenaires et sponsors publics (ambassade de France au Togo, délégation de l’Union européenne, ministère de l’énergie du Togo, ministère des postes et de l’économie numérique du Togo, Banque ouest-africaine de développement, etc.) et des partenaires privés (Schneider Electric, Engie, Akon Lighting Africa, Electricité de France, Greenwish Partners, etc.). Toutefois, les frais de fonctionnement de l’ONG restent majoritairement financés sur fonds propres.
Un an de formation gratuite
Représentée aujourd’hui dans 27 pays par des ambassadeurs chargés de détecter des porteurs de projets, l’organisation s’est dotée d’un centre de formation pour accueillir les lauréats d’un prix panafricain baptisé Africa Energy Generation Prize et destiné à récompenser les projets les plus novateurs. Les lauréats gagnent la possibilité d’intégrer gratuitement le centre de formation pour un an (d’octobre à août). Ils sont réunis à Lomé. Le transport est pris en charge ainsi que leur hébergement au sein d’une résidence. Ils bénéficient en outre d’une bourse mensuelle pour couvrir les coûts de la vie et disposent d’un budget de 1 000 euros chacun afin de réaliser leur prototype. En contrepartie, les porteurs de projets s’engagent à céder 10 % du capital de la société qu’ils créeront à Energy Generation.
Les trois premiers lauréats, distingués en 2017, incarnent les ambitions de la jeune ONG : l’Ethiopien Adel Kidane pour sa batterie portative Walab alimentée par une dynamo à manivelle, le Ghanéen Prince Essel pour Ecopower, un système de production de pétrole basé sur la pyrolyse de déchets plastiques, et le Togolais Lalle Nadjagou pour HydroPower, un procédé de transformation de l’eau en hydrogène.
Encouragée par le prix Young Leader in Energy Access, qu’elle s’est vu décerner en mars 2017 par l’organisation Alliance for Rural Electrification, Astria Fataki a décidé de voir plus grand, à l’échelle du continent. Energy Generation compte ouvrir en 2018 deux nouveaux bureaux au Ghana et au Nigeria, suivi d’un troisième en Côte d’Ivoire en 2019. Et « au-delà de cette expansion géographique, explique sa présidente, l’ONG va ouvrir ses compétences et son centre de formation à deux autres secteurs clés du développement : l’éducation et la santé ».