Le village africain des Jeux de Londres, un caillou dans la chaussure du CIO
Le village africain des Jeux de Londres, un caillou dans la chaussure du CIO
Par Pierre Lepidi, Yann Bouchez
La société française Pixcom, spécialisée dans l’événementiel, a porté plainte contre la branche africaine de l’institution olympique pour des factures impayées.
C’est un nouvel épisode dans un long bras de fer juridique commencé il y a six ans. Selon les informations du Monde, confirmant celles de Mediapart, Pixcom, une société spécialisée dans l’événementiel, a porté plainte auprès du procureur de la République à Versailles, mardi 3 avril, contre l’Association des comités nationaux olympiques d’Afrique (Acnoa) pour tentative d’escroquerie au jugement. Depuis 2012, l’entreprise française reproche à cette institution placée sous l’égide du Comité international olympique (CIO) le non-paiement de deux factures, pour un montant d’environ un million d’euros, émises dans le cadre d’un village africain aux Jeux olympiques (JO) de Londres.
L’idée avait tout pour séduire. Initié par l’Acnoa, cet « Africa Village » devait être « the place to be » des JO de 2012. Installé dans les jardins de Kensington, au cœur de la capitale britannique, il devait être un lieu de rencontres entre des personnalités des mondes économique, politique et sportif. « Le village africain devra montrer au monde ce qu’est l’Afrique en matière de culture et de dynamisme, se félicitait, quelques jours avant son ouverture, Lassana Palenfo, président ivoirien de l’Acnoa. C’est également ici que les athlètes africains viendront fêter leurs médailles. »
Ouvert en grande pompe en compagnie de la princesse marocaine Lalla Joumala Alaoui, du premier ministre algérien Ahmed Ouyahia et du président ivoirien Alassane Ouattara, le village africain a fermé ses portes brutalement le 8 août, soit quatre jours avant la fin de la compétition, suite à la grève de différents prestataires, notamment du personnel de sécurité, pour des factures impayées. Ces prestataires étaient employés par Concerto, une société d’événementiel basée à Londres, sans lien avec Pixcom.
Dans un courriel que Le Monde a pu consulter daté du 15 juillet 2012 (soit douze jours avant l’ouverture des JO), Alain Barbier, président de Pixcom, alerte Lassana Palenfo : « Un risque majeur plane sur le dossier : le manque de trésorerie, car nous sommes loin d’avoir encaissé les recettes des ventes, stands et partenariats… Les fournisseurs, encadrés par Concerto, font un chantage permanent avec menace de quitter le chantier. »
Lassana Palenfo répond que l’Acnoa ne « peut plus décaisser d’argent car sa trésorerie ne peut plus le faire », mais il laisse entrevoir que « le trésorier de la présidence de la Côte d’Ivoire [le pays doit tenir un stand au village africain] peut solder ce problème. »
Contre-attaque
Lors d’une allocution à l’assemblée générale de l’Acnoa, le 1er novembre 2013 à Abidjan, Lassana Palenfo accuse Pixcom de ne pas avoir « honoré ses obligations ». « Scandaleux ! Catastrophique pour notre institution !, s’écrie le président. Bien sûr, l’Acnoa a engagé des poursuites juridiques contre Pixcom qui se sont traduites par des condamnations de cette société. »
En octobre 2012, l’Acnoa a effectivement assigné Alain Barbier devant le tribunal de grande instance de Nanterre, affirmant que l’homme d’affaires avait reçu plusieurs versements émis dans le cadre de la solidarité olympique pour aider l’Acnoa à financer le village africain. Elle a accusé Pixcom d’avoir détourné l’argent des prestataires et a réclamé le remboursement d’environ 1,176 million d’euros. Mais en 2016, la Cour d’appel de Versailles, confirmant la décision du tribunal de grande instance de Nanterre, a donné tort à l’association olympique et l’a condamnée à verser 3 000 euros à Alain Barbier.
La contre-attaque judiciaire du patron de Pixcom vise aujourd’hui à récupérer les fonds qu’il assure ne pas avoir touchés et à retracer les flux financiers. « Je reconnais avoir reçu deux versements pour un montant total de 300 000 dollars, mais il manque un million d’euros auxquels il faut ajouter les dommages et intérêts que je réclame, assure Alain Barbier. J’ai été attaqué par l’Acnoa en France et j’ai gagné. J’ai été poursuivi en diffamation en Algérie par Mustapha Berraf [vice-président de l’Acnoa et président du Comité olympique algérien] et j’ai encore gagné ce procès. »
Les sommes versées dans le cadre de la solidarité olympique ont-elles été détournées ? En l’état actuel, rien ne permet de l’affirmer. « J’ai déjà eu à gérer des affaires d’impayés commerciaux, mais de là à devoir rembourser des versements que je n’ai pas perçus, je n’ai jamais vu cela, s’emporte Alain Barbier. Il faut que la lumière soit faite, ma crédibilité est en jeu. Le CIO ne fait rien pour mettre un terme à cette mascarade malgré les nombreuses alertes qu’il a reçues, y compris par voie d’huissier. »
Zones d’ombre
Lassana Palenfo, actuellement suspendu de la présidence de l’Acnoa après une élection contestée en mai 2017, n’a pas répondu aux questions du Monde. L’avocate de l’Acnoa, malgré plusieurs relances, n’a pas donné suite non plus. Egalement sollicité, le CIO a refusé de s’exprimer « sur une affaire en cours ». L’institution, dont le siège est situé à Lausanne, en Suisse, estime par ailleurs que ce conflit « concerne uniquement l’Acnoa et non le CIO ».
L’argument est contestable, car le village africain a été financé grâce au mécanisme de solidarité olympique qui « a pour mission d’organiser l’assistance aux comités nationaux olympiques, en particulier à ceux qui en ont le plus grand besoin, à travers des programmes pluridimensionnels axés sur le développement des athlètes, la formation des entraîneurs, des dirigeants sportifs, et la promotion des valeurs olympiques ». Or, si la commission de la solidarité olympique, dont le budget 2009-2012 était de 311 millions de dollars (environ 235 millions d’euros à l’époque), bénéficie selon les textes du CIO « d’une autonomie financière, technique et administrative », elle « rend compte à la commission exécutive et au président du CIO, en les tenant régulièrement informés des principales décisions prises ».
Dans sa plainte, Me Emmanuelle Goby, avocate d’Alain Barbier, rappelle que « seul le CIO […] est habilité, au titre de la solidarité olympique, à régler les prestataires de l’Acnoa pour le compte de l’Acnoa ». Me Goby déplore que l’institution n’a pas « accepté de répondre aux demandes d’informations qui lui ont été adressées sur la question des prétendus règlements qu’il [le CIO] aurait opérés pour le compte de l’Acnoa dans l’intérêt de la société Pixcom ». Ce silence ne permet pas d’éclaircir pour le moment les différentes zones d’ombre de ce dossier.