Caen-Paris : il y a dix ans, les heures sombres du PSG
Caen-Paris : il y a dix ans, les heures sombres du PSG
Par Alexandre Pedro
En demi-finales de Coupe de France, le club parisien voyage à Caen. Dix ans après y avoir traversé la pire crise sportive de son histoire, loin des fastes du PSG qatari. Récit.
Le milieu du PSG, Clément Chantôme, à la lutte contre le Caennais Reynald Lemaître, le 19 avril 2008 à Caen. / ROBERT FRANCOIS / AFP
Ni gâteau ni bougies, c’est le genre d’anniversaire que personne ne fête. Le 19 avril 2008, le Paris-Saint-Germain est promis à la Ligue 2 après une soirée cauchemardesque au stade Michel-d’Ornano, où il retrouve Caen ce mercredi 18 avril en demi-finales de Coupe de France. Après une défaite 3-0, Paris dégringole alors à la 18e place au classement. L’époque n’est pas à pleurer sur cette Ligue des champions qui se refuse au club, le PSG n’est pas encore passé sous pavillon qatari et ne « rêve pas plus grand ». Il serait plutôt en plein cauchemar et menacé de relégation pour la première fois depuis sa montée dans l’élite en 1974.
« Je ne vais pas encore parler de L2, car mon boulot est de l’éviter », tente bien de rassurer après la déroute le président, Alain Cayzac. Sauf que son visage indique le contraire. « Cayzac est détruit après le match, raconte le journaliste Bruno Salomon qui couvrait la saison galère du PSG pour France Bleu Paris. On le sent choqué. Et quand je le vois, je me dis que ce club va tout droit en Ligue 2. » Les joueurs de Paul Le Guen viennent de subir leur 15e défaite de la saison et pointent à trois points du premier non relégable à quatre journées de la fin de la saison.
Que dire du match en question ? Gardien abandonné par sa défense, Mickaël Landreau retarde longtemps l’échéance jusqu’au but d’Anthony Deroin à la 52e minute. « Pour être honnête, je n’ai pas un souvenir particulier de ce match, élude l’actuel entraîneur de Lorient. C’est toute la saison qui avait été pénible. On n’était pas préparé à jouer le maintien et tout le monde voulait voir descendre le club de la capitale. »
Pauleta « choqué »
C’est que le ver est déjà dans le fruit depuis un moment. Le PSG tient du bateau ivre avec à sa tête le fonds de pension américain Colony Capital, critiqué pour son manque d’investissement et déjà prêt à vendre au premier acheteur intéressé. Cayzac apparaît comme un président supporteur dépassé par les événements, Paul Le Guen décontenance par ses choix, comme lorsqu’il confie le brassard de capitaine à Valenciennes à un Mamadou Sakho pas encore majeur. Contre Caen, le Breton pousse l’audace à aligner Sylvain Armand (habituel défenseur) au poste d’ailier gauche. Une innovation pas beaucoup plus payante que le milieu de terrain 100 % formé au club formé par Chantôme, Bourillon et Clément.
Dominé dans tous les secteurs, Paris rend les armes sans se battre. « Ce soir, je suis choqué, mais je suis choqué depuis longtemps », lâche un Pedro Miguel Pauleta au crépuscule sa carrière. Même Le Guen n’arrive plus à trouver des motifs d’espoir : « Autant la défaite face à Nice [2-3] m’était apparue porteuse d’espoir, autant ce soir, on se sent la tête au fond du trou. »
Et comme pour noircir encore un peu plus le tableau, Landreau est interpellé après le deuxième but caennais par un supporteur parisien descendu sur la pelouse pour lui jeter sa colère au visage. Le destin s’en mêle et se fait ironique : Yoan Gouffran triple la mise dans les dernières minutes, lui qui avait refusé de rejoindre le PSG lors du mercato d’hiver précédent au vu de la situation de son prétendant. « Je n’ai jamais regretté ma décision et encore moins quand je vois où ils en sont aujourd’hui », lâche-t-il après la rencontre.
Jérôme Reijasse a raté le but de Gouffran. Ecrivain et journaliste, il était pourtant ce soir-là à Caen et a même consacré un chapitre au match dans son livre Parc, tribune K-Bleu bas (L’Œil d’Horus, 2009) qui raconte l’annus horribilis de sa formation de cœur vue depuis sa position de supporteur. « Je ne fais jamais ça, mais j’avais quitté le stade avant la fin. J’ai entendu le but de Gouffran à la radio sur le chemin du retour. A ce moment-là, j’en viens à souhaiter la relégation de l’équipe, on se dit qu’on va tout reprendre de zéro, que c’est la seule solution. Je regarde même sur la carte où se trouvent les équipes de L 2 pour voir les déplacements pas trop loin de Paris. »
« Si on descend, on vous descend »
D’autres supporteurs ont la défaite plus énervée. Deux jours plus tôt, la ministre de l’intérieur, Michèle Alliot-Marie, a décidé de dissoudre l’association des Boulogne Boys après l’affaire de la banderole « anti-Ch’tis » lors de la finale de Coupe de la Ligue gagnée contre Lens. Un titre accessoire et déjà lointain pour certains fans, qui se rendent au camp des Loges en pleine nuit.
Bruno Salomon assiste alors à des scènes « dignes de Mad Max ». Avec un confrère, le journaliste effectue un détour par le centre d’entraînement du PSG en rentrant de Caen. « Et là, on aperçoit des types avec des cagoules taguer les murs du centre, un autre sauter sur le capot de la voiture de Sylvain Armand et détruire les vitres. Ce n’est plus une impression, je vois le club brûler devant moi. »
Le lendemain, les joueurs retrouvent leur véhicule caillassé pour certains et des messages qui se passent de sous-texte : « Si on descend, on vous descend. » Les jours qui suivent, une compagnie de CRS forme un cordon de sécurité entre les coéquipiers de Pauleta et leurs propres supporteurs. Et quand le PSG pique sa crise, le nom de Luis Fernandez revient toujours. Sans qu’on ne le pousse trop, l’entraîneur vainqueur de la Coupe des Coupes en 1996 se dit disponible. Mais Colony Capital ignorera la vindicte du Parc des Princes qui propose depuis un moment une nouvelle orientation professionnelle à son entraîneur breton en chantant : « une crêperie pour Le Guen ».
Moulin, Rothen et la taupe
A la différence de Paul Le Guen, Alain Cayzac n’a, lui, pas résisté à la déroute caennaise. Le publicitaire, amoureux du club de la première heure, est poussé à la démission le 21 avril, remplacé par le discret Simon Tahar comme président intérimaire. Cayzac n’a pas accepté que l’actionnaire principal lui impose une cohabitation avec un nouveau venu, l’étonnant Michel Moulin. Avec son accent provençal, le créateur du journal de petites annonces Paru- Vendu arrive comme directeur sportif et chasseur de taupes. « Les joueurs hallucinent, se souvient Bruno Salomon. Ils ne savent pas qui c’est et il vient les secouer dans le vestiaire et s’en prendre à Rothen qu’il accuse d’être la taupe des journalistes. »
La journée suivante, le PSG s’impose 3-1 au Parc des Princes face à l’AJ Auxerre et sa défense commandée par Sammy Traoré… prêté par le club parisien. « Peut-être que le match de Caen a été décisif dans le fond, avance Jérôme Reijasse. Les joueurs ont décidé de se bouger, ils avaient peur de voir encore leur voiture en leasing se faire de nouveau caillasser. » Un doublé salvateur d’Amara Diané lors de la dernière journée à Sochaux permettra au PSG de sauver sa place en Ligue 1. « Cette défaite à Caen, Diané… Si tu en parles à certains supporteurs actuels, ça ne leur dira rien, assure Reijasse. Ils n’ont pas de mémoire ou une mémoire sélective. »
Pour ceux-là, le résumé de ce Caen-PSG est disponible sur Youtube avec une musique pas vraiment de circonstance.
Caen 3-0 Paris-SG
Durée : 03:02