On a testé… « God of War », le jeu d’action divin qui se refuse à tuer le père
On a testé… « God of War », le jeu d’action divin qui se refuse à tuer le père
Par Corentin Lamy
Sans trop s’écarter des canons du jeu d’action, les nouvelles aventures de Kratos, sorties vendredi sur PS4, les transcendent cependant.
« God of War » continue de faire la part belle au changement d’échelle vertigineux. / Sony
Les crânes craquent, les articulations sautent, tandis que le métal déchire les chairs de créatures chimériques. Un guerrier musculeux, tatoué et mutique massacre à tour de bras les monstres, les titans, les dieux, abattant des ennemis grands comme des montagnes, faisant couler des torrents de sang. Sa mission ? Une chimère, elle aussi. Une histoire de vengeance bien sûr, qui ne sera bientôt plus qu’un prétexte à laisser s’exprimer sa rage.
Ce déchaînement de violence fantasmé (car très littéralement fantastique), c’est celui qu’a proposé la série God of War entre 2005 et 2010, le temps d’une trilogie racontant le funeste destin de Kratos, simple mortel devenu dieu par la force des armes.
Jeu de bagarre parfait, God of War se trouvait cependant à l’issue de ces trois épisodes (et quelques spin-off) dans l’impasse. Comment continuer à raconter l’histoire de Kratos, quand celui-ci est devenu tellement puissant qu’il est le seul à pouvoir encore s’ôter la vie ? Vendredi 20 avril, après huit ans d’attente, la réponse est là, sur PlayStation 4, et s’appelle sobrement God of War.
L’hilarant nain Sindri, l’un des meilleurs personnages. / Sony
Tyr au flanc
Plus âgé, le dieu spartiate a trouvé exil en Midgard, domaine des hommes dans la mythologie scandinave. Adieu Zeus et Athena, hydres et titans, désormais Kratos vit, en tout anonymat, caché derrière une barbe drue, parmi les fils d’Odin, les trolls et les draugrs. Pour se faire oublier, il est ironiquement devenu ce contre quoi, à l’origine, il combattait : un barbare parmi les barbares.
Mais la barbe a ceci de commun avec le malheur qu’elle ne vient jamais seule : Kratos est désormais flanqué d’un fils, baptisé Atreus. Ensemble, ils ont une mission, grimper au sommet de la plus haute montagne des Neuf Royaumes, pour y disperser les cendres de la mère du gamin.
Evidemment, ça ne sera pas si simple que cela. Et le passé de Kratos va le rattraper. Mais nous n’en sommes pas encore là… Le jeu commence sur une séquence plus anodine : celle de Kratos qui abat un arbre qu’il se jette ensuite négligemment sur l’épaule. Tout le God of War nouveau est dans cette scène : la continuité (fort comme un dieu, Kratos fait fi des lois de la physique) mais aussi la rupture. Car la hache avec laquelle il abat cet arbre, c’est l’arme avec laquelle il se battra pendant l’essentiel de l’aventure, délaissant les chaînes qui étaient jusqu’ici la marque de la série. Tout un symbole.
Action ou dialogue, la caméra ne décolle jamais de Kratos. / Sony
La part du Kratos
C’est en effet libéré de certains carcans que Kratos se lance dans sa quête nordique. Oubliez la caméra aérienne surveillant l’action de loin. Désormais solidement ancrée à un mètre ou deux derrière l’épaule noueuse de Kratos, la caméra ne le lâche jamais. Pour peu qu’on n’y meure pas, le God of War nouveau est ainsi un long plan séquence que ne vient interrompre nul écran de chargement.
Et il faut bien cela pour suivre Kratos sur les sentiers des Neuf Royaumes : contrairement aux épisodes d’origine, le dernier God of War s’envisage davantage comme un jeu d’aventure (très) costaud, qui se décloisonne petit à petit. Des nouvelles compétences, de nouveaux objets, à la façon d’un mini Zelda, rythment d’ailleurs la progression. De nouveaux décors aussi : Kratos et le jeune Artheus iront ainsi se balader le long de rivières, de lacs, à flanc de volcan ou même dans d’autres royaumes plus fantastiques encore.
Il faut signaler ici ce qui est un peu plus qu’un détail : God of War est beau à tomber. On aura le droit de ne pas tout aimer dans la direction artistique ; il faudrait en revanche faire preuve d’une incroyable mauvaise foi pour nier que, dans le jeu de Sony, nous attendent quelques-uns des paysages les plus fantastiques de l’histoire du jeu vidéo. Les animations coupent également le souffle, et celles de Kratos en particulier, corps massif ne cessant jamais de se mouvoir et de fuir en très gros plan, bénéficient du même soin.
Les ennemis manquent de variété. / Sony
Les combats bénéficient forcément de cette perfection technique. Plus complexes et plus riches que par le passé, plus exigeants également, ils demandent au joueur de jongler entre de multiples compétences et techniques pour venir à bout d’ennemis qui ont, décidément, beaucoup d’énergie à revendre et de points de vie à perdre. Cela pourrait être laborieux, mais ça ne l’est jamais, car le résultat à l’écran est digne des chorégraphies des meilleurs films d’action.
Baldur mais juste
Iconoclaste Kratos, mais pas trop. S’il y a une idole que God of War se refuse à abattre, c’est elle-même. God of War est, structurellement, un jeu d’un classicisme absolu. Il n’invente rien, il se contente de l’exécuter brillamment.
S’il permet par exemple les allers-retours, son monde soi-disant « ouvert » est en réalité bien riquiqui, dissimulant très habilement ses couloirs sous des effets de perspectives astucieux et des paysages monumentaux qu’on ne foulera jamais du pied. Un truc d’illusionniste parfaitement exécuté.
Pourtant, God of War propose une densité inédite. De la dépouille colossale d’un géant au moindre détail de la moindre marche du moindre escalier en passant par un des innombrables coffres secrets à dénicher, rien n’est là par hasard. C’est un jeu ciselé, un truc maniaque, d’une cohérence qui ne cesse de subjuguer.
Réjouissants, hypnotiques, les combats sont de véritables ballets. / Sony
Un soin du détail qu’on retrouve à tous les niveaux ; mais ce sont les dialogues qui en sont la meilleure manifestation : les personnages discutent beaucoup entre eux, toujours avec un flot naturel et confondant. Ils sont aussi efficaces quand il s’agit de donner de l’épaisseur à un personnage, d’expliciter l’univers, ou d’aiguiller le joueur lors d’une énigme ou une quête un peu retorse.
C’était d’ailleurs un des promesses du jeu : Kratos, désormais accompagné de son fils Atreus, devait cesser d’être un guerrier décérébré. Ensemble, ils feraient entrer la série à l’âge des jeux sensibles.
Loki dort
On en a fait beaucoup autour de ce personnage d’Atreus et de la maturité nouvelle de cette série. L’un des responsables de Sony Santa Monica, le studio de développement, a même déclaré, sans rire, que le jeu « ferait du joueur un meilleur père – ou un meilleur parent ».
Et, de fait, c’est vrai que l’histoire de ce God of War ne parle que des rapports entre les enfants et leurs parents. Mais parce que ceux-ci sont, sans exception, des dieux, les pauvres humains que nous sommes y chercheront en vain des leçons de vie raisonnablement applicables.
Mimir, ici de dos, ou plutôt, de nuque. / Sony
Et pourtant. Il y a bien, dans ce God of War, un personnage qui change tout. C’est une tête, une simple tête, celle ressuscitée du dieu de la sagesse Mimir. Omniprésent dans la seconde partie du jeu, Mimir est un compagnon qui, par la force des choses, ne peut rien faire d’autre que de parler, mais excelle dans ce rôle.
Davantage que sa sagesse, c’est son humour qui est précieux. Roi de la vanne ou de la remarque décalée, il est ce personnage conscient de l’absurdité de l’univers de jeu vidéo qui l’entoure et de ses dispositifs de mise en scène parfois encore un peu frustes. Surtout, il moque allègrement le sérieux et l’héroïsme régulièrement grotesque de Kratos, faisant au besoin redescendre sur Terre le dieu, et, à travers lui, le joueur.
En fin de compte, ce n’est pas d’un gamin ou d’une pseudo-maturité dont avait besoin dans la jusqu’ici trop sérieuse série God of War, mais juste de recul et de second degré.
L’avis de Pixels
On a aimé :
- la mise en scène des combats, délirante ;
- le monde, dense, crédible, varié, organique – parfait en fait ;
- la mythologie nordique, savamment exploitée ;
- la drôlerie des nains et surtout de Mimir, la tête parlante qui fait redescendre Kratos sur Terre.
On n’a pas aimé :
- le manque de variété (et de personnalités) des ennemis ;
- on se fiche un peu de ces histoires de fils de dieux.
C’est pour vous si :
- vous aimez les jeux d’action ;
- vous aimez en prendre plein la vue ;
- vous aimez dénicher des trésors, forger des armures et polir des haches.
Ce n’est pas pour vous si :
- vous n’aimez pas les jeux de combat un peu techniques ;
- vous comptiez vraiment sur God of War pour devenir un meilleur parent.
La note de Pixels
600 portes du Valhalla/640.