Quand deux dirigeants coréens se rencontrent, qu’est-ce qu’ils se racontent ?
Quand deux dirigeants coréens se rencontrent, qu’est-ce qu’ils se racontent ?
Par Harold Thibault
Le dirigeant du Nord, Kim Jong-un, n’a pas hésité, notamment, à plaisanter sur ses tirs de missiles, qui auraient valu au président du Sud de mauvaises nuits.
Vidéo : la poignée de main entre les deux dirigeants coréens
Durée : 01:24
Pour le dirigeant nord-coréen, l’opération de communication est une réussite. Kim Jong-un est attendu comme un Martien sortant de sa soucoupe volante, vendredi 27 avril, lorsqu’il apparaît et s’approche de la ligne de démarcation, qu’il franchit pour serrer la main du président sud-coréen, Moon Jae-in.
Il détend de suite l’atmosphère. M. Moon lui demande, pour engager la discussion : « Vous êtes venu au Sud, mais quand puis-je aller au Nord ? », et le dirigeant, qui aurait 34 ans, saisit la main du président sud-coréen, qui en a 65, pour passer du côté nord de la ligne : « Pourquoi n’y allons-nous pas maintenant ? »
Il y a quelques mois encore, en pleine escalade verbale entre M. Kim et le président américain, Donald Trump, la péninsule était en alerte. Là, les deux hommes parlent transports, légèrement, pour briser la glace. « Comment êtes-vous venu ? », demande M. Moon. « Je suis venu en voiture via Kaesong tôt ce matin. » « Vous avez dû partir au petit matin vous aussi », l’interroge en retour le dirigeant nord-coréen. « Cela ne m’a pris qu’environ une heure parce que c’est juste à 52 km », dit le président du Sud.
« Je m’assurerai que vous puissiez dormir tranquillement »
L’homme mystérieux – l’énigme actuelle, qui reste entière après le sommet, est de déterminer ce qu’il entend par « dénucléarisation » – se révèle jovial, selon le récit de la rencontre fait par le secrétaire chargé de la communication de la présidence sud-coréenne, Yoon Young-chan.
Le Nord-Coréen se permet même une blague sur ses tirs intempestifs de missiles ces dernières années, qui ont cessé à l’automne : « On m’a dit que vous ne parveniez pas à faire de bonnes nuits, que vous étiez réveillé aux aurores parce que vous deviez assister aux réunions du Conseil de sécurité nationale à cause de nous. Vous avez dû vous habituer à vous lever tôt le matin. » M. Moon lui répond : « Je dormirai bien, l’esprit tranquille, à présent, parce que vous avez donné votre parole lorsque notre envoyé spécial est allé au Nord. » M. Kim : « Je m’assurerai que vous puissiez dormir tranquillement. »
Après cet échange apparemment anodin mais lourd de sens, Kim Jong-un change soudain de registre pour évoquer un thème grave et sensible, la tragédie de la péninsule divisée :
« En marchant ces 200 mètres environ, je me suis demandé pourquoi la distance a semblé telle et pourquoi cela a été si difficile. (…) Beaucoup de gens ayant de fortes attentes nous regardent ici, à l’endroit même qui symbolise la confrontation. »
Il évoque « ceux qui ont été nerveux à cause d’éventuels tirs de l’armée nord-coréenne, notamment les résidents de l’île de Yeonpyeong [théâtre de plusieurs affrontements depuis la fin des années 1990], les Nord-Coréens [qui ont fait] défection et les gens déplacés, qui ont de forts espoirs pour notre rencontre d’aujourd’hui ».
En chemin, Moon Jae-in a vu beaucoup de gens sortir le saluer et abonde dans le sens du dirigeant nord-coréen : « Les gens ont de fortes espérances. Nous portons beaucoup sur nos épaules. »
Kim Jong-un et Moon Jae-in, à Panmunjom, le 27 avril. / HANDOUT / REUTERS
Un cheval au galop
Chaque remarque est l’occasion d’un message, plus ou moins explicite, pour appeler à l’ouverture entre les deux pays. Lorsque le chef de l’Etat sud-coréen pointe une peinture de chute d’eau du mont Paektu, montagne sacrée du Nord, où le fondateur de la « dynastie » des Kim, Kim Il-sung, combattit les Japonais et sur les flancs de laquelle serait né l’ancien numéro un Kim Jong-il, père de l’actuel dirigeant, il en profite pour faire remarquer qu’il n’est jamais allé là-bas, que beaucoup de gens s’y rendent côté chinois, mais que lui voudrait y aller du côté sud-coréen.
La discussion se recentre ensuite sur les transports. Faut-il y voir une manière, pour le dirigeant nord-coréen, de demander de l’aide à son homologue du Sud, ou une simple réflexion sur le moment ?
« Ce qui m’inquiète, si le président Moon vient nous rendre visite, c’est que notre système de transport est déficient, et vous pourriez le trouver inconfortable. Ceux qui sont venus aux Jeux olympiques de Pyeongchang ont dit à quel point le train à grande vitesse est rapide. Parce que vous êtes habitués à cela, vous pourriez être déconcerté en visitant le Nord. Nous nous préparerons pour faire en sorte que votre séjour soit confortable. »
Il n’en faut pas moins à M. Moon, qui en profite pour vanter les mérites du rapprochement des deux pays : « Lorsque les voies ferrées du Nord et du Sud seront de nouveau liées, chacun pourra bénéficier du chemin de fer à grande vitesse. »
Tout est affaire de vitesse, car « si les attentes sont fortes, il y a aussi des sceptiques », fait valoir M. Kim, se félicitant de ces « cent jours environ » durant lesquels le dialogue sur la péninsule déchirée a progressé davantage qu’au cours des onze années écoulées depuis le dernier sommet intercoréen.
Moon Jae-in lui aussi mise sur la célérité. Il doit composer, d’un côté, avec un allié américain gouverné par un homme instable entouré de faucons, et de l’autre, avec une Corée du Nord déjà nucléarisée et qui a réalisé au moins trois tirs de missiles intercontinentaux. Il souligne que les précédents efforts de rapprochement se sont heurtés aux alternances politiques. Un an a passé depuis sa prise de fonction, il espère que son voisin maintiendra le rythme politique engagé depuis l’entrée dans l’année 2018, à la grande surprise du monde extérieur.
Kim Jong-un évoque alors sa sœur, chargée de la propagande : « Le département de Kim Yo-jong a trouvé une formule : “Accélérer comme un cheval qui peut galoper 10 000 miles par jour.” »