Cameroun : de Salomon à Akere, la saga de la famille Muna
Cameroun : de Salomon à Akere, la saga de la famille Muna
Par Josiane Kouagheu (Douala, correspondance)
Très présente sur la scène politique, la descendance de l’ancien leader anglophone compte notamment un candidat à l’élection présidentielle prévue en octobre.
8 octobre 2017. Akere Muna, ancien bâtonnier de l’ordre des avocats du Cameroun, déclare, à la surprise générale, son intention de se porter candidat à l’élection présidentielle prévue en octobre 2018. L’annonce fait les choux gras de la presse et tient en haleine les réseaux sociaux. Le patronyme du candidat y est pour beaucoup. Car Akere Muna est l’un des fils de Salomon Tandeng Muna, qui fut premier ministre du Cameroun anglophone de 1968 à 1972. Cet instituteur né vers 1912 dans la région anglophone du Nord-Ouest a été l’un des artisans de la réunification du pays.
Après la première guerre mondiale, le Cameroun, sous protectorat allemand, était passé sous la tutelle de la France et du Royaume-Uni. Au lendemain de l’indépendance, en 1960, la République fédérale du Cameroun fut créée le 1er octobre 1961 avec deux Etats fédérés : le Cameroun francophone et le Cameroun anglophone. Puis, à la faveur d’un référendum initié par Ahmadou Ahidjo, premier président du Cameroun, et Salomon Tandeng Muna, la République unie du Cameroun vit le jour le 20 mai 1972. L’ancien premier ministre sera par la suite élu président de l’Assemblée nationale. A sa mort, en 2002, il acquerra le rang d’icône nationale pour de nombreux Camerounais.
« Le peuple a soif de changement »
« Aujourd’hui, la famille Muna est présente sur la scène politique à travers les enfants », observe Jean-Bruno Tagne, journaliste politique à Canal 2 International, l’une des chaînes privées les plus suivies du Cameroun. De fait, la descendance Muna n’a pas déçu. Sur le plan professionnel, tous ont réussi.
Des cinq enfants vivants de Salomon Tandeng Muna, deux évoluent loin des projecteurs : Georges, l’ingénieur agronome, et Wally, cardiologue comme son grand frère Daniel, décédé en 2009. Ce dernier, qui avait été président de l’ordre national des médecins du Cameroun, assurait jusqu’à sa mort la présidence de la polyclinique Muna, l’une des plus importantes du Cameroun.
Les Muna les plus célèbres sont Bernard, l’aîné, Akere, le candidat à l’élection présidentielle, et Ama Tutu, la benjamine. « Nous avons travaillé dur pour arriver où nous sommes aujourd’hui. Personne n’a eu de faveurs. Notre père nous a appris la valeur du travail bien fait », assure Bernard, qui reçoit dans son bureau niché dans les locaux de la fondation Salomon-Tandeng-Muna, inaugurée en 2008 à Yaoundé.
Comme son frère Akere, Bernard Muna, 77 ans, a été bâtonnier de l’ordre des avocats. Ensemble, ils ont créé Muna & Muna, l’un des plus gros cabinets d’avocats du pays. Ancien procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda, l’homme est surtout connu pour sa « passion politique ».
Il a rejoint le Social Democratic Front (SDF), principal parti d’opposition, dès sa création en 1990. Il était d’ailleurs le directeur de campagne de John Fru Ndi, l’opposant historique, lors de la présidentielle de 1992. Fâché avec ce dernier, il a quitté le parti et fondé l’Alliance des forces progressistes (AFP), pour le compte de laquelle il s’est présenté à l’élection présidentielle de 2011. Il recueillera 0,38 % des voix, contre 77,99 % pour Paul Biya, chef de l’Etat depuis 1982. Un échec cuisant.
« Cette année est la bonne pour les Muna. Mon frère Akere a toutes les chances de remporter l’élection présidentielle car le Cameroun est à bout, veut-il croire. Regardez la grogne sociale ! Le peuple a soif de changement et est prêt à se battre pour ça. »
« Un pacte direct avec le citoyen »
Dans sa villa du quartier Bastos, à Yaoundé, Akere Muna affiche la même confiance. L’avocat de 65 ans, parfaitement bilingue contrairement à son grand frère, a été président de l’Union panafricaine des avocats. Elu vice-président de Transparency International, l’ONG fondée par le juriste allemand Peter Eigen, son « ami personnel », il est le fondateur de la branche camerounaise de l’organisation. Akere Muna a aussi été à la tête du Conseil économique, social et culturel de l’Union africaine.
C’est ce parcours qui l’a poussé à s’engager en politique. « C’est bien de dire ce qu’il faut faire en tant que monsieur anticorruption, défenseur des droits humains, avocat… mais à un moment je me suis demandé s’il ne fallait pas faire partie directement de la solution », explique le candidat, qui décide alors de « signer un pacte direct avec le citoyen ». Depuis, Akere Muna sillonne le Cameroun pour rencontrer la population qui, selon lui, « se sent oubliée des oligarques ».
Pour gagner ces élections, l’ancien bâtonnier est conscient que son parcours et son nom ne suffisent pas. Depuis 2016, la partie anglophone du Cameroun, qui représente environ 20 % de la population, est plongée dans une grave crise socio-politique. Des affrontements entre l’armée et les combattants séparatistes ont fait de nombreux morts.
Certains anglophones qui réclament leur indépendance accusent d’ailleurs Salomon Tandeng Muna d’avoir « trahi » et « vendu » le Cameroun anglophone. « On l’accuse de beaucoup de choses, mais il n’a fait que servir avec honnêteté son pays », balaient ses deux fils, qui accusent le gouvernement d’avoir « mal géré la crise en optant pour la répression au lieu du dialogue ». « Il y a un problème de gestion. Les gens vivent mal. Il faut gagner les cœurs, parler avec eux », assure Akere Muna.
« Nous resterons une famille unie »
Dans la course à la présidentielle, l’ancien vice-président de Transparency International doit faire face aux accusations de sa sœur, qu’il surnomme « la reine ». Proche du pouvoir, Ama Tutu Muna a porté plainte pour détournement de succession contre le candidat, administrateur des biens légués par leur père, et son frère Bernard.
L’ancienne ministre des arts et de la culture, nommée en mars 2017 au sein de la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme, dont le but est de trouver des solutions à la crise anglophone, conteste la gestion de son frère et assure n’avoir jamais assisté à un jugement d’hérédité – ce que réfutent ses aînés. « Ama Tutu sait bien que la gestion de l’héritage familial s’est toujours faite en toute transparence. Depuis la mort de notre père, elle ne s’est jamais plainte. Pourquoi maintenant ? », s’interroge Bernard Muna. « La justice tranchera. Je n’ai pas peur. Tout a toujours été légal », renchérit Akere.
La sortie d’Amas Tutu Muna est-elle une manœuvre du parti au pouvoir pour discréditer Akere Muna ? Pour Jean-Bruno Tagne, le candidat fait partie des « poids lourds de cette présidentielle ». Selon le journaliste, l’élection a commencé à être prise au sérieux au moment où Muna a annoncé sa candidature. « Parce que dans le camp du pouvoir, on sait que c’est quelqu’un qui a un bon carnet d’adresses, y compris à l’international. Il peut aussi facilement trouver les moyens financiers pour mener une bonne campagne électorale. »
Jean-Bruno Tagne assure que les Muna ont été, durant des décennies, admirés par le Cameroun entier pour « la cohésion et l’amour » qui régnaient au sein du clan. « Cette plainte est donc un coup terrible porté à l’image de la famille », ajoute-t-il. Malgré tout, les deux frères assurent que jamais ils ne se détourneront de leur sœur. « Dans notre famille, chacun a toujours eu le droit d’avoir sa propre opinion, d’exprimer ses craintes et de lutter pour ce qu’il estime juste. Notre père nous a inculqué cette valeur. Nous resterons une famille unie », jure Akere Muna.