Entre 300 et 500 manifestants ont défilé le 20 septembre à Morez pour soutenir les salariés du fabricant de lunettes Logo, le 20 septembre. | Philippe Trias / PHOTOPQR/LE PROGRES/MAXPPP

Entre les Vosges et le Jura, ce n’est pas le même combat. En rangs serrés, les politiques se pressent au chevet d’Alstom à Belfort pour trouver des solutions qui permettraient de maintenir les emplois dans la production de motrices ou de locomotives. A 200 kilomètres au sud, le sort des 220 salariés du fabricant de lunettes Logo, à Morez, dans le Jura, semble en revanche laisser les pouvoirs publics totalement indifférents. Il en va pourtant aussi du made in France, habituellement porteur en période électorale, et de la poursuite de l’hémorragie des emplois dans l’industrie de la lunette.

La guerre enfle entre Logo et son principal donneur d’ordres, LVMH, qui assure 97 % de son activité (40 millions d’euros de chiffre d’affaires). Depuis 1999, deux filiales du numéro un mondial du luxe, TAG Heuer, et, dans une bien moindre mesure, Fred avaient accordé au fabricant jurassien une licence exclusive de création, conception, fabrication et commercialisation de leurs lignes optiques. Ce qui représente chaque année entre 400 000 et 500 000 paires de lunettes. En contrepartie, Logo devait leur verser 3 millions d’euros de royalties par an.

Selon l’avocat de Logo, Renaud Semerdjian, « LVMH a prévenu fin 2015 l’entreprise du non-renouvellement des licences et a rompu les discussions ». Ce qui a précipité, selon lui, son dépôt de bilan le 12 mai 2016 au tribunal de commerce de Lyon. La date limite pour trouver un repreneur a été fixée au 4 octobre.

« Nous ne sommes pas mariés à vie avec un sous-traitant »

A la tête d’une trentaine de concessions automobiles en région Rhône-Alpes, en Bourgogne et en Auvergne, Richard Vives, qui a repris la direction de Logo en 2013, avait remis 3 millions d’euros en compte courant dans l’entreprise en difficulté en février, en espérant que LVMH allait revenir dans la discussion. Il n’en a rien été.

« Plus personne n’a intérêt à reprendre l’entreprise puisque nous avons appris que LVMH levait l’obligation de produire en France qu’il imposait jusqu’à présent à ses fabricants », assure MSemerdjian. « C’est faux, il n’y a d’ailleurs jamais eu d’obligation de produire des lunettes en France, l’unique préoccupation tient à leur qualité », rétorque Guilhem Bremond, l’avocat de TAG Heuer.

« Nous ne sommes pas mariés à vie avec un sous-traitant. Nous ne les lâchons pas. Nous leur avons spécifié dès 2012 que nous mettrions fin à cette licence car nous considérons que la performance de Logo s’est dégradée depuis le changement de propriétaire », précise-t-on chez LVMH. Le groupe de luxe rappelle que les autres clients de Logo, comme Range Rover, Salomon, Naf Naf ou Cacharel, sont aussi partis en raison de « la gestion défaillante de la direction actuelle ».

Une région sinistrée

« Quand nous avons commencé à travailler ensemble, nous réalisions moins de la moitié de leur chiffre d’affaires », affirme-t-on chez LVMH. Selon Me Bremond, « il n’y a jamais eu de problème de qualité de la production mais la direction, qui n’a aucune compétence dans les lunettes et n’est pas présente dans l’usine, n’a pas réalisé les dépenses marketing prévues et n’a pas une bonne connaissance du réseau de distribution ». Il assure que « Logo a cumulé 13,4 millions d’euros de pertes entre 2012 et 2014 [les comptes 2015 ne sont pas publiés] et ne paie plus les royalties depuis deux ans. Mais nous avons prolongé d’un an son contrat de licence, jusqu’en 2017 précisément, pour permettre à l’entreprise jurassienne de se retourner ».

L’avocat de Logo a beau jeu de rappeler les déclarations de Jean-Claude Biver, patron du pôle montres de LVMH sur le repositionnement de la marque Tag Heuer en septembre 2014. S’il expliquait dans W The Journal que les diversifications (téléphones, maroquinerie, accessoires et chronométrage) allaient être abandonnées, il rappelait que la « seule diversification maintenue » concernait « les lunettes », qui connaissaient « un incontestable succès ».

« La décision de LVMH condamne la reprise de Logo, de ses 220 emplois dans le Jura et des 230 salariés des filiales à l’étranger, en Italie et aux Etats-Unis », assure l’avocat de Logo. Richard Vives se dit « déterminé à continuer le combat pour sauver l’emploi et le made in France ».

Entre 300 et 500 manifestants ont défilé le 20 septembre à Morez pour soutenir les salariés. Dans les années 1980, la ville comptait 4 500 salariés dans l’industrie de la lunette. Il n’en reste plus que 1 500 aujourd’hui.

La députée LR du Jura Marie-Christine Dalloz a écrit au premier ministre, Manuel Valls : « Pour le haut Jura, cette perspective de fermeture est un drame industriel mais surtout humain, dans une région déjà sinistrée par la désindustrialisation. » TAG Heuer n’en démord pas : « Nous ne sommes pas responsables de la mauvaise gestion de Logo », dit son avocat. Mais en termes d’image, LVMH est déjà tenue pour responsable de ces futurs licenciements.