Les délégués des 195 pays signataires de l’accord de Paris se réunissent à nouveau à Bonn, en Allemagne, pour élaborer une stratégie contre le réchauffement planétaire. / PATRIK STOLLARZ / AFP

A chaque nouvelle session de négociations sa trouvaille linguistique. Le terme était apparu lors de la conférence climat de novembre 2017 (COP23), il entre en force dans le vocabulaire de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, la CCNUCC. Réunis à Bonn, en Allemagne, jusqu’au 10 mai, les délégués des 195 pays signataires de l’Accord de Paris – destiné à contenir le réchauffement planétaire sous le seuil des 2 °C – devront dorénavant s’habituer au « dialogue Talanoa ».

L’expression forgée par les îles Fidji, qui supervisent les débats jusqu’en décembre, avant de passer le relais à la Pologne lors de la COP24, fait référence à l’approche polynésienne de la résolution des problèmes, une manière « de partager nos histoires, dans un esprit d’empathie et de confiance », a tenté de résumer, mercredi 2 mai en séance plénière, l’ambassadeur fidjien Luke Daunivalu.

En attendant d’étrenner dimanche 6 mai ce nouveau format de discussion entre Etats et acteurs non étatiques, les quelque 4 000 accrédités du World Conference Center des bords du Rhin mettent à l’épreuve leur capacité d’écoute sur l’un des dossiers les plus crispants des négociations : les financements. Le rapport que publie, jeudi, l’ONG internationale Oxfam risque de faire chuter la cote de confiance que l’institution onusienne cherche à maintenir.

Intitulé « 2018 : les vrais chiffres des financements climat », le document passe en revue les données publiées par les pays bailleurs pour la période 2015-2016 et s’interroge sur le chemin qui reste à parcourir par les nations du Nord pour tenir leur engagement de mobiliser conjointement 100 milliards de dollars par an, d’ici 2020, en faveur des pays du Sud.

« Tendances très préoccupantes »

Le rapport s’ouvre sur un chiffre qui devrait faire tousser quelques délégués siégeant à Bonn. Selon les estimations d’Oxfam, le montant total des financements climat publics déclaré par les bailleurs s’élève à 48 milliards de dollars par an. L’organisation pousse l’analyse plus loin et considère que seuls 16 à 21 milliards aident réellement les pays du Sud puisqu’une grande partie des fonds engagés par le Nord financent des projets dont le climat n’est qu’un volet d’action.

Dans un précédent exercice de comptabilisation, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) avait estimé, en octobre 2016, que ces financements publics pourraient représenter 67 milliards de dollars en 2020, la part restante des 100 milliards étant comblée selon l’OCDE par des capitaux privés. Mais il s’agissait là d’une projection, basée sur les engagements annoncés par plusieurs pays riches en 2015, et pas d’une photographie à l’instant T.

En publiant cette synthèse en pleine session de travail de la CCNUCC, l’ONG veut mettre l’accent sur des « tendances très préoccupantes pour les pays et les populations les plus pauvres dans le monde », argumente Armelle Le Comte. La responsable climat et énergie d’Oxfam France s’inquiète notamment de la faible augmentation de l’aide publique accordée sous forme de subventions : entre 11 et 13 milliards de dollars en 2015-2016 (sur le total de 48 milliards), contre 10 milliards sur la période 2013-2014.

Elle déplore la part modique des sommes dédiées à l’adaptation au changement climatique, qui représentent seulement 20 % des financements publics, contre 19 % en 2013-2014 (les politiques d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre captant la majeure partie des fonds). Seuls 18 % des financements comptabilisés en 2015-2016 ont bénéficié aux 48 pays les moins avancés (PMA), relève par ailleurs la responsable d’Oxfam.

Comptabilisation des financements

Le rapport n’élude pas la disparité des informations transmises par les Etats, qui rend cet effort de chiffrage délicat. Tous les pays ne précisent pas la part bilatérale et multilatérale de leurs fonds publics, n’intègrent pas de la même manière les flux financiers privés et n’affichent pas les mêmes ratios entre prêts et dons. Washington, qui ne cache pas son hostilité à l’égard de l’Accord de Paris, n’a pas indiqué de son côté les sommes dépensées en 2016.

En fait, « il n’existe aucune définition des finances climat au sein de la CCNUCC, et cela ne changera pas, confie un fin connaisseur de la gouvernance climatique, le sujet est très compliqué techniquement et trop sensible politiquement ». Les négociateurs se veulent plus optimistes puisque l’accord de 2015 a ouvert la voie à deux groupes de travail : l’un sur les modalités de comptabilisation, l’autre sur la « prévisibilité » des financements des pays développés à destination de ceux du Sud.

Ce second point, qui avait paralysé les débats de la COP23, est pris très au sérieux à Bonn. « La prévisibilité est un enjeu crucial, analyse Lucile Dufour, du Réseau Action Climat (RAC). C’est ce qui doit permettre aux pays en développement de planifier leurs actions climatiques, c’est aussi une garantie de confiance entre le Nord et le Sud. »

La question de la comptabilisation des financements relève du « rule book », c’est-à-dire des règles de mise en œuvre de l’accord conclu fin 2015 à Paris, qui doivent être adoptées en décembre à Katowice, ville hôte de la COP24. Ce mode d’emploi aborde de nombreux sujets, comme le contenu des contributions nationales pour réduire les émissions polluantes de chaque pays, les règles de transparence des informations communiquées par les parties ou encore les contours du bilan mondial auquel va s’astreindre la communauté internationale, tous les cinq ans, à partir de 2023.

Une occasion manquée

Devant cette pile de dossiers qui s’amoncellent sur la table des négociations, le secrétariat de la CCNUCC envisage d’ajouter une session de travail supplémentaire, début septembre, à Bangkok. Cofacilitateur du groupe sur la comptabilisation des financements climat, l’ambassadeur malien Seyni Nafo esquisse un calendrier : « nous avons beaucoup de notes informelles, il faut désormais préparer un texte clair pour Bangkok, qui rendra possible les arbitrages au moment de la COP24. »

D’autres étapes vont jalonner cette année. Les nations industrialisées sont invitées (sur une base volontaire) à transmettre d’ici septembre à la Convention-cadre la feuille de route de leurs financements climat jusqu’en 2020. Un exercice auquel pourrait se plier la France. Les pays du Nord vont ouvrir, fin 2018, le chantier de la recapitalisation du Fonds vert pour le climat, dont le premier cycle (2015-2018) arrive à échéance. Ils devront compter sans les Etats-Unis, Donald Trump ayant décidé de bloquer deux milliards de dollars promis au fonds par son prédécesseur Barack Obama.

La promesse des 100 milliards est elle aussi une occasion manquée, estime Seyni Nafo. « C’est un minimum qui n’existe pas aujourd’hui, commente le porte-parole du groupe Afrique au sein de la CCNUCC, et on a fait l’erreur d’annoncer des engagements avant de se mettre d’accord sur des règles ! » A l’horizon 2050, le coût du changement climatique pour les pays en développement devrait dépasser les 1 000 milliards de dollars par an, même avec une hausse de la température moyenne inférieure à 2 °C, avancent les experts d’Oxfam.