« La Fed se donne du temps en attendant l’orage redouté par les marchés entre elle et Trump »
« La Fed se donne du temps en attendant l’orage redouté par les marchés entre elle et Trump »
Par Jean-Paul Betbèze (Président de Betbeze Conseil)
Symétrique est l’adjectif qui résume aujourd’hui la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine. Une position d’attente estime Jean-Paul Betbeze dans sa chronique au « Monde ».
Jerome Powell, le président de la Federal Reserve américaine. A Washington, le 21 mars. / Carolyn Kaster / AP
Symétrique : par deux fois, ce 2 mai, la Banque centrale américaine a utilisé cet adjectif dans son communiqué, pour qualifier son objectif d’inflation. Il est « symétrique à 2 % à moyen terme ». Pourquoi cette nouveauté ? Ou plutôt : pourquoi donc cette répétition ? Evidemment, ce n’est pas le hasard qui joue dans ce domaine, c’est évidemment l’économie et les objectifs de la Réserve fédérale américaine (Fed), mais au moins autant la politique, par les temps trumpiens qui sont les nôtres.
L’économie américaine continue d’avancer, et le premier trimestre 2018, plus faible que le précédent, est jugé comme étant un ralentissement temporaire. Pour ce qui concerne l’objectif d’emploi, le communiqué note que les nouveaux emplois étaient forts « dans les mois récents » et le taux de chômage est resté bas. Donc nous y sommes, pour l’objectif d’emploi. Et pour l’autre objectif, celui de l’inflation, à la fois l’inflation d’ensemble et l’inflation hors nourriture et énergie (donc hors éléments volatiles), nous voilà « près de 2 % » dit la Fed. Donc nous y sommes aussi, pour l’inflation. Objectifs remplis de chômage et d’inflation : la Fed doit bel et bien monter ses taux lors de sa prochaine réunion, les 12 et 13 juin.
Rien d’automatique
« Symétrique » intervient alors, pour faire la différence avec la Banque Centrale Européenne (BCE) dont l’objectif est une inflation proche, « mais au-dessous de 2 % à moyen terme ». « Au-dessous », en zone euro, implique une certaine automaticité quand 2 % est franchi, « symétrique » peut se comprendre comme une bande +0,3, -0,3 % autour de ce 2 %. Donc il n’y a rien d’automatique à ce que la Fed continue à monter ses taux après les 12 et 13 juin, en supposant qu’elle le fasse ces deux jours-là, et surtout pas deux fois ensuite.
Ce « symétrique » lui permet donc de respirer, de voir comment réagissent les marchés, pour savoir si elle doit augmenter ses taux une fois encore, ou bien deux, cette année. Les marchés attendent trois hausses nouvelles, l’économie restant forte, et quatre serait la limite haute, conduisant les taux courts à 2,75 % en fin d’année. Ce « symétrique » permettrait en fait de garder les fed funds [taux d’intérêt pratiqués par la Fed], « pour un temps, au-dessous des niveaux qui devraient prévaloir à plus long terme ». Donc de ne pas faire trop monter les taux longs, de ne pas trop peser sur la Bourse et surtout de ne pas faire trop monter le dollar.
Ce « symétrique » est donc, en fait, très politique. Il permet à la Fed de ne pas s’installer dans une logique automatique, qui la mettrait en opposition frontale avec la politique fiscale, budgétaire et des échanges que mène le Président Trump. Ce dernier vise en effet une croissance vers 3,5 %, avec une économie déjà au bord de la surchauffe.
Se protéger des tweets vengeurs du Président
En parlant de « symétrie », la Banque centrale américaine se donne ainsi du temps - ce qui est techniquement correct. Elle se protège de tweets vengeurs du Président - ce qui est sage. Elle n’inquiète pas encore les marchés qui vivraient mal cet orage qu’ils redoutent et attendent entre Fed et Trump – ce qui gentil pour eux ! Mais ceci ne pourra pas durer éternellement.
Le temps économique pousse partout à la hausse des taux, la Bourse exulte après les avantages fiscaux accordés par Donald Trump. Elle est quand même hypersensible, par exemple à l’indice Markit non manufacturier un peu moins favorable, qui inquiète et qui vient de sortir. La volatilité est partout revenue, économique et financière certes, mais surtout politique. Personne ne parle officiellement de Robert Muller [le procureur spécial qui enquête sur Donald Trump], mais tout le monde y pense. Le rapport entre économie financière et politique est, lui aussi, « symétrique », autrement dit : compliqué.