Un feu tricolore à l’effigie de Karl Marx, près de la maison natale du philosophe, à Trèves, en Allemagne, le 3 mai. / PATRIK STOLLARZ / AFP

Karl Marx est de retour dans sa ville natale, mais cela ne plaît pas à tout le monde. Deux cents ans jour pour jour après sa naissance, l’inauguration d’une statue du philosophe allemand dans le cœur historique de Trèves (Rhénanie-Palatinat), samedi 5 mai, suscite une vive controverse.

En réalité, l’affaire agite les esprits depuis déjà trois ans. A l’origine : une proposition de la République populaire de Chine, faite en 2015, d’offrir une statue de l’auteur du Capital à la ville où ce dernier vécut jusqu’à ses 17 ans. Fallait-il accepter ? La question fut mise à l’ordre du jour d’un conseil municipal, le 13 mars 2017. Après des débats enflammés, un vote fut organisé. Résultat : 42 voix pour, 7 contre, 4 abstentions. Le feu vert fut donc donné.

La décision a toutefois eu du mal à passer. Sur place, la coalition à la tête de Trèves, qui réunit les sociaux-démocrates, les conservateurs et la gauche radicale (Die Linke), s’est heurtée à une opposition hétéroclite mais déterminée. Pour les Verts, le problème n’était pas tant de célébrer Marx que d’accepter un présent de Pékin. « Celui qui reçoit un cadeau rend honneur à celui qui l’offre. Or, le Parti communiste chinois ne mérite pas d’être honoré », firent valoir les écologistes. Pour le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne, c’était l’idée même de rendre hommage à « un homme qui a rejeté la démocratie parlementaire » qui était insupportable.

Inciter le public à débattre

Mais le débat ne s’est pas limité à la cité de Trèves. Des centaines de kilomètres plus à l’est, dans cette partie de l’Allemagne jadis située de l’autre côté du rideau de fer, des associations défendant la mémoire des victimes du communisme ont exprimé leur colère. Près de trente ans après la chute du mur de Berlin, elles ont considéré comme une injure d’ériger un monument à celui dont la pensée servit de catéchisme à certains des pires dictateurs du XXe siècle.

Pour apaiser les esprits, Trèves a obtenu de la Chine que la statue qui sera finalement livrée soit un peu moins imposante que prévu : 5,50 m au lieu de 6,30 m, socle compris. Parallèlement, les dirigeants de la cité mosellane ont martelé que ce monument de bronze n’était pas un outil de propagande mais qu’il était là, au contraire, pour inciter le public à débattre de la pensée et de l’héritage de Karl Marx.

Trèves, qui accueille chaque année plus de 150 000 touristes chinois, pouvait-elle refuser un tel cadeau, au risque de se brouiller avec Pékin ? Sans doute pas. La polémique a surtout rappelé à quel point la mémoire de Marx reste ambivalente dans l’Allemagne d’aujourd’hui. Ambivalence que le président de la République, Frank-Walter Steinmeier, a lui-même exprimée, jeudi, en déclarant prudemment, lors d’une table ronde organisée à Berlin pour le bicentenaire de la naissance du philosophe : « En tant qu’Allemands, nous ne devons ni surestimer Karl Marx ni le bannir de notre histoire. Nous ne devons ni avoir peur de lui ni lui ériger des statues dorées. »