TV – « Chef’s Table », snob, irritante et passionnante
TV - « Chef’s Table », snob, irritante et passionnante
Par Renaud Machart
Notre choix du soir. Malgré des clichés esthétisants, la série propose des portraits de chefs extrêmement informatifs (sur Netflix à la demande).
Chef's Table - Season 3 | Official Trailer [HD] | Netflix
Durée : 01:38
Chef’s Table, la série documentaire culinaire créée en 2015 par David Gelb, est à la fois irritante et attachante. La réalisation, remarquable mais bourrée de tics esthétisants, fait le portrait de chefs parmi les plus singuliers du monde culinaire international.
Ils sont rarement laids, prennent la pose, avec des airs inspirés dont la caméra prolonge la portée par des ralentis lassants. Les messieurs ont souvent la barbe des hipsters, des tatouages, des enfances de mauvais garçons tombés parfois dans la drogue. Ils vont tous se ressourcer dans la nature – que, bien sûr, ils respectent –, la cueillent, la goûtent et la hument.
Dans la saison 3, que Netflix vient de rendre disponible (avec une quatrième dévolue aux pâtissiers), le Péruvien Virgilio Martinez propose à sa carte des bonsaïs de parterres végétaux, présentés selon l’altitude de la cueillette. On voit le jeune homme porter à son visage de la glaise. Horreur ! Va-t-il concocter un sorbet de boue agrémenté d’une limace confite ?
Rien n’est impossible, car, ainsi que le rappelle un thuriféraire chargé d’expliquer la règle, comme dans un couvent austère et mortificateur, « les plats de Virgilio peuvent parfois avoir un goût désagréable ». On n’est pas là pour se goberger, mais pour « vivre une expérience », être « transformé », « questionné » – entre autres clichés répétés ad nauseam depuis le début de cette série.
Si l’on est souvent tenté de rétorquer : « Quand est-ce qu’on mange ? » à ce propos assez snob et hautain, on convient volontiers que cette quête avant-gardiste est souvent passionnante, d’autant plus que les six personnalités retenues ne sont pas toutes d’obédience postmoléculaire.
Assemblages végétaliens
Vladimir Mukhin, jeune chef russe, tente par exemple de recréer les recettes traditionnelles de la Russie présoviétique ; Nancy Silverton a apporté aux Etats-Unis la maîtrise d’un pain d’exception et imposé la « vraie » pizza italienne, peu épaisse et croustillante.
Le plus extraordinaire des six épisodes est celui dévolu à Jeong Kwan, cuisinière révérée par les plus grands mais qui ne sort que rarement de son pays, la Corée du Sud, et de son monastère bouddhiste, où elle prépare les repas depuis des lustres (elle y est entrée en 1974, à l’âge de 17 ans).
La voir organiser ses assemblages végétaliens (ni viande, ni poisson, ni dérivés) est une expérience d’un esthétisme d’autant plus fort qu’il tient surtout à la justesse du geste. Sa cuisine, disent ceux qui l’ont goûtée, est à la fois un gage de santé et un concentré de subtilité, obtenue par des légumes cueillis dans un jardin 100 % biodynamique, des techniques de fermentation naturelle et des ingrédients rares mais savamment dosés.
Le chef péruvien Virgilio Martinez. / Rene Funk/Netflix / Rene Funk/Netflix
Parfois, l’aspect biographique prend trop le pas sur le propos strictement culinaire, notamment pour évoquer des événements tragiques dans la vie personnelle de certains des chefs portraiturés. On ne doute pas de l’authenticité des sentiments exprimés, mais, en raison des musiques dégoulinantes qui les surlignent, ils finissent par ressembler à ceux qu’on trouve dans les vulgaires émissions de télé-réalité.
La musique reste d’ailleurs sûrement trop présente dans Chef’s Table. Elle est conçue comme un nappage assez inventif (constitué notamment de pastiches de musique savante, quand ce ne sont pas des extraits d’œuvres originales), mais qui finit par écœurer comme le ferait une sauce trop riche.
Chef’s Table, saison 3, série documentaire créée par David Gelb (EU, 2017, 6 × 54 min).