Cannes 2018 : « Rafiki », la douceur d’un amour
Cannes 2018 : « Rafiki », la douceur d’un amour
Par Véronique Cauhapé
Interdit au Kenya, le deuxième film de Wanuri Kahiu présenté dans la sélection Un certain regard a été accueilli par une salle debout.
Jamais film kényan n’avait jusqu’à présent été sélectionné à Cannes. Le premier, Rafiki, projeté, mercredi 9 mai, dans la catégorie Un certain regard, a été salué par de longs applaudissements et une salle debout, tournée vers la réalisatrice Wanuri Kahiu et ses deux actrices principales, Samantha Mugatsia et Sheila Munyiva, toutes de blanc vêtues, les larmes aux yeux et le sourire ému. L’interdiction de diffusion de Rafiki au Kenya, au prétexte qu’il « légitimait l’homosexualité », selon la Commission de censure du pays, n’aura pas réussi à gâcher la fête, ni à émousser la fierté que porte en bannière toute l’équipe du film.
Inspiré d’une nouvelle de l’auteure ougandaise Monica Arac de Nyeko, Jambula Tree, le deuxième long-métrage de Wanuri Kahiu conte une belle et douce histoire d’amour entre deux adolescentes, Kena (Samantha Mugatsia) et Ziki (Sheila Munyiva), deux adolescentes dont les pères, politiciens, s’opposent dans une campagne électorale. Elles n’ont pas choisi. Tout comme elles n’ont pas choisi ce trouble qui les intimide lorsqu’elles se croisent.
Pourquoi le Kenya a interdit le film "Rafiki", sélectionné à Cannes
Durée : 01:03
Kena, corps longiligne dissimulé dans des pantalons et des sweats informes, casquette sur la tête et allure de garçon manqué, ne fréquente pas plus que cela les filles de son âge ; leur préférant plutôt les garçons avec qui elle joue au foot et surtout, Blacksta (Neville Misati), son pote, son meilleur ami. Ziki, formes généreuses, robes à fleurs coupées bien au-dessus du genou, de longues nattes gainées de fils multicolores, traîne au contraire sa dégaine de Lolita des rues, flanquée de deux copines. Bonbon rose affriolant, l’air frondeur, aguicheuse par jeu, Ziki s’attendrit au passage de Kena.
Une image plus moderne
Wanuri Kahiu suit cette rencontre, les regards qui se soutiennent plus qu’à l’ordinaire, plus qu’il ne le faudrait en tout cas dans ce pays où les hommes, la société, l’église condamnent les attirances homosexuelles. La réalisatrice saisit les sourires qui éclairent les visages avant que le premier baiser ne soit encore advenu mais dont la perspective, acquise par un consentement implicite, annonce le bonheur à venir. La caméra s’autorise à filmer de très près les visages, le grain de la peau, la douceur de la caresse avec la même infinie délicatesse que les deux jeunes filles mettent à se découvrir. Une délicatesse qui, très vite, se heurte à la violence de l’interdit, à la réaction des familles, de l’entourage et du voisinage. Elle monte crescendo, jusqu’à l’explosion, féroce et cruelle.
C’est en faisant se frotter la douceur d’un amour et la brutalité de l’environnement dans lequel il ne peut s’épanouir que Wanuri Kahiu défend son propos, sans avoir jamais besoin de le revendiquer. Dans cette Afrique dont elle montre le conservatisme et le rôle restreint accordé aux femmes – destinées à devenir avant tout de bonnes épouses –, elle aura glissé une autre image. Plus moderne, joyeuse, optimiste et tendre.
'Rafiki' - Official Trailer (Exclusive)
Durée : 01:49
Film kenyan de Wanuri Kahiu. Avec Samantha Mugatsia, Sheila Munyiva, Neville Misati (1 h 22). Sortie en salle prochainement. Sur le Web : www.meteore-films.fr/distribution-films/rafiki