Les chaises de la discorde
Les chaises de la discorde
Par Clémentine Pomeau-Peyre
Les chaises créées par les designers américains Charles et son épouse Ray Eames sont des icônes du design vintage. Malheureusement, le marché est envahi de copies.
Siège « DAR » (Dining Armchair Rod) de Charles et Ray Eames de 1950, coque en fibre de verre. / Agence J2Cmédia
Dans les années 1948-1950, les designers américains, Charles (1907-1978) et son épouse Ray Eames (1912-1988), créent toute une série de chaises et de fauteuils, avec des assises en fibre de verre moulée et des piétements originaux. C’est la naissance des « RAR » (Rocking Armchair Rod), « DAR » (Dining Armchair Rod), « DAW » (Dining Armchair Wooden-base) etc. Edités par Zénith Plastics (de 1950 à 1953), puis par Herman Miller jusqu’en 1972 et ensuite par Vitra et Modernica, ces différents modèles sont fabriqués à des millions d’exemplaires (le polypropylène remplace dans les années 2000 la fibre de verre), et font partie des icônes du design vintage.
Deux manifestations parisiennes autour du design, la Modern and Vintage Design Art Fair (ex-Puces du design, qui s’est tenue du 5 au 8 avril à Paris) et la Brocante Design (le 13 mai dans le cinquième arrondissement de Paris) viennent pourtant de bannir ces pièces de leurs stands. « Pour ces modèles, sur le marché, il n’y a quasiment plus que du faux, souligne Richard Serrault, organisateur de la Brocante design. Et du faux de mauvaise qualité qui ne respecte ni l’intention ni le désir des designers. Les coques sont de mauvaise qualité, les piétements ne s’emboîtent pas bien, les vis sont apparentes… » Résultat : ces chaises ne résistent pas à un usage normal, tandis que des versions de Miller, ou de Vitra, qui comptent quelques dizaines d’années, ne bougent pas.
Victimes de leur succès
Fabriqués à des millions d’exemplaires, ces créations ont figuré dans tous les livres et journaux de décoration… Elles semblent aujourd’hui victimes de leur succès. « Je pense que 90 % des pieds de ces sièges que l’on retrouve aujourd’hui sont contemporains. Certains ont été adaptés sur des assises anciennes, conçues pour des salles d’attente, et qui étaient reliées par un piétement commun que l’on a retiré », estime l’expert CEFA en mobilier design du XXe siècle Benoît Ramognino. Il a fait l’expérience, pour illustrer son propos, de commander une copie chinoise sur le site Alibaba. « Cela coûte environ 15 euros la chaise, pour un lot de dix, toutes les couleurs, tous les piétements sont disponibles… Mais au point de vue de la qualité du siège, c’est vraiment catastrophique. Même pour quelqu’un qui n’y connaît rien, la différence est criante. L’éditeur Vitra essaie bien de lutter, mais que faire face à Alibaba ? »
Les marketplaces spécialisées dans le vintage, telles que Pamono ou Design Market, hésitent d’ailleurs de plus en plus à accepter ces modèles, de peur d’être confrontées à des faux. Sur le marché des « vrais » sièges Eames, les cotes restent néanmoins raisonnables : à partir de 100 euros environ suivant les modèles. Avec un pic autour de 1 000 euros à 3 000 euros pour les éditions Zénith Plastics, les toutes premières séries de ces sièges, reconnaissables pour les amateurs à la « rope edge », marque laissée sur le contour par la corde en chanvre qui retenait le moule de la coque en fibre de verre et parfois une étiquette en damier.
Le couple Eames n’est pas le seul à être victime de son succès : le fauteuil Barcelona, de Ludwig Mies van der Rohe, la chaise Diamant, de Harry Bertoïa, la Panton Chair, de Verner Panton…, sont également des icônes à surveiller de très près.
Brocante Design, dimanche 13 mai, à partir de 7 h 00, Rue des Fossés Saint-Bernard, 75005 Paris.