Editorial du « Monde ». Mieux vaut être actionnaire que salarié, si l’on en croit les conclusions du rapport publié, lundi 14 mai, par l’organisation non gouvernementale Oxfam et le Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne (Basic). Cette étude montre que, depuis 2009, les actionnaires des groupes du CAC 40 ont été généreusement servis en accaparant plus des deux tiers des bénéfices de ces entreprises. Vient ensuite la part consacrée aux investissements, qui n’a été en moyenne que de 27,5 %. Les salariés, eux, se sont vu attribuer seulement 5 % du total sous la forme d’intéressement et de participation.

Le partage des profits est au cœur de polémiques récurrentes en France. Nicolas Sarkozy avait relancé le débat en février 2009 en lançant l’idée d’une répartition en trois tiers : un tiers devant aller aux salariés, un autre aux actionnaires et le dernier devant être réinvesti dans l’entreprise « pour financer son développement ». Près de dix ans plus tard, la part des bénéfices reversée aux salariés reste toujours réduite à la portion congrue. Dans le même temps, les entreprises ont sensiblement augmenté le taux de versement de dividendes, qui en une décennie a progressé en moyenne de moitié, pour se situer entre 45 % et 60 %.

Toutefois, cet état des lieux ne donne qu’une vision partielle du partage de la valeur ajoutée, qui se compose notamment du revenu des salariés, de celui des propriétaires du capital, des impôts prélevés par l’Etat. Or, on observe que ce partage est relativement stable dans la période récente après des évolutions heurtées. Dans les années 1960, les salaires ont peu évolué, puis, à partir des années 1970, ont connu une forte croissance, ont baissé fortement dans les années 1980, avant une nouvelle stabilisation.

La part belle aux détenteurs du capital

Une fois ce constat posé, force est de constater que l’évolution actuelle du capitalisme conduit à un certain nombre de déséquilibres. D’abord, si le « gâteau salaires » reste inchangé, la taille des parts, elle, bouge beaucoup. Les salaires des PDG du CAC 40 ont ainsi augmenté deux fois plus vite que ceux de leurs salariés.

Les conséquences du phénomène dépassent le sort de quelques individus, il crée également une mécanique qui tend à faire la part belle aux détenteurs du capital. Les rémunérations des PDG étant de plus en plus liées au cours de Bourse, grâce à la distribution d’actions gratuites et autres stock-options, ceux-ci sont de plus en plus tentés d’aligner leurs intérêts sur ceux des actionnaires. Résultat : les 1 % les plus riches captent une grande partie de la croissance de la masse salariale.

Deuxième effet pervers, l’utilisation des profits. Leur augmentation spectaculaire ces dernières années n’a servi ni à augmenter les investissements ni à réduire l’endettement, mais à accroître la rémunération des actionnaires.

L’idée de rééquilibrer le partage de la valeur ajoutée entre le capital et le travail a souvent été critiquée au motif que, si les entrepreneurs sont conduits à donner une plus grande partie des profits aux salariés, il n’y aurait plus d’incitation à entreprendre. Mais les excès observés ces dernières années incitent à penser que le balancier a été trop loin. En quoi l’envolée des salaires des dirigeants, les rachats d’actions massifs ou le versement de dividendes supérieurs aux bénéfices de l’entreprise servent-ils les intérêts de l’économie réelle ? Il est temps pour les actionnaires de comprendre que leur soif insatiable de profits nous mène tous dans le mur.