Cannes 2018 : avec « Girl », oubliez le garçon
Cannes 2018 : avec « Girl », oubliez le garçon
Par Clarisse Fabre
A Un certain regard, Lukas Dhont filme avec pudeur un adolescent en transition vers le sexe féminin.
L’édition cannoise 2018 retiendra que le jour où 82 femmes ont monté les marches pour réclamer l’égalité avec les hommes, un garçon transgenre, en transition vers le sexe féminin, s’est coupé le sexe à l’écran, salle Debussy. La projection de Girl, du réalisateur flamand Lukas Dhont, 26 ans, a été un choc pour les festivaliers, samedi 12 mai. Sélectionné à Un certain regard, ce premier long-métrage concourt pour la Caméra d’or, et aussi pour la Queer Palm.
Cherchez la fille. Lara en est une, cela crève les yeux. Cheveux blonds mi-longs, sourire lumineux, silhouette de danseuse classique. Très David Hamilton. Pourtant, Lara cherche la fille qui est en elle. Elle est née garçon et commence à peine son traitement hormonal pour bloquer la puberté et féminiser son corps, à l’âge de 15 ans. En attendant de se faire construire un vagin, elle aplatit son pénis sous de larges sparadraps. Jusqu’au jour où… elle prend les ciseaux. Mais Girl n’est pas un film « gore ».
Girl new clip official from Cannes – 1/3
Durée : 01:06
C’est l’histoire d’une adolescente sous tension. Pourquoi Lara semble-t-elle mélancolique, alors qu’elle pourrait être la plus heureuse des jeunes filles en transition ? Lara est acceptée comme elle est, aussi bien à la maison qu’à ses cours de danse. Elle est suivie par un « psy » qui lui répète : « Quand je vous regarde, je vois une fille. » Son père est tendre, aimant, réconfortant, pas macho pour un sou, et admirablement interprété par Arieh Worthalter – la mère n’existe pas dans le film.
Victor Polster (à gauche) dans « Girl », de Lukas Dhont. / DIAPHANA DISTRIBUTION
Pourtant, Lara est mal dans sa tête et dans son corps. Elle désespère de voir pousser ses seins, elle a les orteils en sang dans ses chaussons. Mais elle doit tenir, comme dans Rester vertical (2016), d’Alain Guiraudie. Lara est un bloc de souffrance sur ses pointes : elle est souvent filmée debout. Droite comme un i, Lara fait le trajet dans le métro, tient la barre dans le studio de danse, virevolte jusqu’au vertige ; elle est encore debout devant le miroir de sa chambre à scruter son corps. La répétition de ces plans, qui peut lasser, a le mérite de faire entrer le spectateur dans la vie quotidienne, voire intime, de Lara. Mais la caméra n’est pas voyeuse.
Girl new clip official from Cannes – 2/3
Durée : 00:53
Une douce radicalité
Il a fallu du temps au réalisateur pour trouver sa « ballerina girl ». Il a fini par choisir un jeune danseur au visage d’ange, l’acteur Victor Polster, qui incarne à merveille la douce radicalité du film. Dans Girl, la transition sexuelle de l’adolescent, sujet sensible, ne fait pas débat. Elle est simplement « accompagnée » sur le plan médical, psychologique et affectif. La seule question qui compte est la suivante : comment devenir soi-même, quitte à remettre en cause les normes ? Qu’est-ce qui fait que l’on se sent homme, femme, ou en dehors de ces catégories ? Girl est un film politique, sans être militant. On pense au documentaire Coby, de Christian Sonderegger, présenté à Cannes en 2017, journal filmé de la transition d’une jeune fille vers le sexe masculin.
La projection a été suivie d’une ovation. Le personnage du film cédait la place à l’acteur, cheveux coupés en brosse, pantalon, chemise. Et toujours cette grâce. Plus tard, devant les photographes, Victor-Lara a fait le grand écart.
Girl new clip official from Cannes – 3/3
Durée : 01:10
Film belge de Lukas Dhont. Avec Victor Polster, Arieh Worthalter (1 h 45). Sortie en salle le 10 octobre. Sur le Web : diaphana.fr/film/girl et www.festival-cannes.com/fr/festival/films/girl