Au Sénégal, la ville de Ziguinchor gagnée par la ferveur artistique de Dak’Art
Au Sénégal, la ville de Ziguinchor gagnée par la ferveur artistique de Dak’Art
Par Salma Niasse (contributrice Le Monde Afrique, Ziguinchor)
En Casamance, la biennale d’art contemporain met l’accent sur la proximité de cette région avec la Gambie et la Guinée-Bissau.
Derrière sa façade grise et bleue, la maison d’El Hadji Bourama Touré abrite un trésor. Cinq œuvres des plus grands plasticiens de Casamance, de Gambie et de Guinée-Bissau sont exposées chez lui le temps de la biennale off de Ziguinchor, qui s’est ouverte samedi 12 mai. En parallèle à celle de Dakar, intitulée Dak’Art et qui se tient du 3 mai au 2 juin, la capitale de la Casamance, dans le sud du Sénégal, a convié ses voisins frontaliers et investi différents endroits pour présenter le travail d’artistes.
« Il y a une forte concentration sur la Biennale de Dakar, on a pensé qu’il était important de faire vivre les autres villes », explique Flore M’Bongo, la directrice de l’Alliance française de Ziguinchor, l’un des organisateurs de l’événement. Au total, quinze artistes, dont huit de Casamance, quatre de Guinée-Bissau et trois de Gambie, sont exposés jusqu’au 24 mai, avec un accent porté sur la proximité entre ces voisins. Pour Christophe Bigot, l’ambassadeur de France au Sénégal, présent à Ziguinchor pour la journée d’ouverture, cette initiative artistique va ainsi « favoriser la connexion entre les pays frontaliers et le dialogue des cultures ».
Des maisons transformées en galerie d’art
Autre particularité de cette édition, les travaux des artistes ne sont plus seulement exposés à l’Alliance française, comme en 2016. Office du tourisme, centre culturel, mais aussi hôtel et maisons ont été pour l’occasion transformés en galeries d’art. Ainsi, à Colobane, en périphérie de la ville, on peut découvrir chez El Hadji Bourama Touré, le délégué du quartier, Mama Africa, une peinture sur bâche de Léon Paul Diatta dans laquelle l’Afrique revêt les formes d’une femme. Et à quelques mètres, dans le couloir qui dessert chambres et séjour, accroché à côté du réfrigérateur, le portrait d’une femme peule peint par le Gambien Moulaye Sarr.
Dans une autre maison, en cours de construction, les murs bruts du hall d’entrée sont habillés des tableaux du Sénégalais Lamine Tamba ou encore du Bissau-Guinéen Chippi. « Nous sommes contents que les artistes exposent ici et nous étions pressés qu’ils viennent nous expliquer leurs œuvres, que chacun a essayé de comprendre à sa manière », s’enthousiasme Ramatoulaye Ba, une habitante de Colobane. « Cela suscite aussi l’intérêt des enfants, qui posent depuis lors des questions sur les différentes techniques de peinture », renchérit Landing Silkamé, un autre résident du quartier.
Un combat pour la préservation de la forêt
Pour le sous-délégué du quartier, Lamarana Ba, « c’est une bonne approche sur le plan éducatif. On voyait les tableaux de loin et on ne pensait pas une telle manifestation possible chez nous. Mais mieux comprendre le travail des artistes permettra de s’intéresser davantage à leurs œuvres », souvent engagées et parfois inspirées par l’actualité.
Chez Moulaye Sarr, la dignité et le droit des femmes sont ainsi mis à l’honneur. Appolinaire Bassène parle de la crise indépendantiste casamançaise, tandis que Lamine Tamba encourage l’équipe de football du Sénégal, qualifiée pour la Coupe du monde 2018. Michael Daffé, pour sa part, mène un combat pour la préservation de la forêt casamançaise en remplaçant le bois pour ses sculptures par des noix de coco.
C’est donc avec son identité propre et ses problématiques que la ville de Ziguinchor a rejoint cette année la biennale d’art contemporain : en transcendant les frontières et en associant le vert de cette région forestière à « l’heure rouge » d’Aimé Césaire, thème de Dak’Art 2018. A l’image de Saint-Louis, ancienne capitale coloniale, dans le nord du Sénégal, où un Musée de la photographie a récemment ouvert ses portes, Ziguinchor compte désormais s’afficher comme une destination culturelle.