Cannes 2018 : Un certain regard couronne un cinéma ambitieux, engagé et pointu
Cannes 2018 : Un certain regard couronne un cinéma ambitieux, engagé et pointu
Par Véronique Cauhapé
Le jury de la section, présidé par l’acteur Benicio Del Toro, a remis son palmarès vendredi. Dix-huit longs-métrages, dont six premiers films, étaient en compétition.
Meryem Benm’Barek-Aloïsi recevant le prix du meilleur scénario pour le film « Sofia », dans la section Un certain regard, à Cannes, le 18 mai. / ERIC GAILLARD / REUTERS
Le jury de la section Un certain regard, présidé par l’acteur Benicio Del Toro, a remis, vendredi 18 mai, son palmarès, dans lequel il a couronné un cinéma ambitieux, engagé et pointu.
A commencer par Border, qui a reçu le prix Un certain regard : un film suédois d’Ali Abbasi qui convoque le fantastique sous les traits, entre autres, de son héroïne Tina – faciès de Neandertal, corps épais et difforme – pour interroger la notion de frontière entre animalité et humanité, politique d’accueil des réfugiés. Border inquiète, déroute et émerveille.
Le prix spécial du jury attribué au long-métrage Les Morts et les autres du portugais João Salaviza et de la brésilienne Renée Nader Messora gratifie une œuvre qui conduit, elle aussi, au questionnement. Elle concerne cette fois la disparition qui menace les indigènes du Brésil, mise en scène sous la forme d’un entre deux-mondes – les vivants et les âmes, un village et la ville, les traditions et la modernité. Ce long-métrage où l’ethnographie côtoie l’expérimental, a la beauté d’un songe qu’il est nécessaire d’inscrire sur la pellicule pour ne pas qu’il s’évapore. Au même titre que les peuples en danger.
Six premiers films
Quant au prix du meilleur réalisateur, attribué au cinéaste ukrainien Sergei Loznitza pour Donbass, il prend le parti de mettre en lumière un film qui, en une douzaine d’histoires et sur un ton virulent, raconte les deux premières années de la révolution ukrainienne (2014 et 2015), dans une zone de non droit passée sous le contrôle de séparatistes soutenus par Moscou. Un tableau à charge sur l’enfer post-soviétique à travers lequel Loznitza laisse libre cours à sa colère. Avec une rage qui n’a d’équivalent que son pessimisme.
Sur les dix-huit longs-métrages présentés dans cette section, six étaient des premiers films, dont deux ont été distingués.
L’un par le prix du meilleur scénario : Sofia de Meryem Benm’Barek, très beau film crûment mis en scène qui met en scène une jeune femme de 20 ans qui vit à Casablanca et qui, suite à un déni de grossesse, se retrouve dans l’illégalité en accouchant d’un bébé hors mariage.
L’autre par le prix de la meilleure interprétation attribué à Victor Polster pour son rôle dans Girl, une jeune fille transgenre qui rêve de devenir danseuse étoile. Adolescent de 16 ans, le jeune acteur au visage d’ange avait enfin permis au réalisateur du film, Lukas Dhont, d’arrêter son choix après de longues recherches. Il ne s’est visiblement pas trompé, cette récompense venant conforter l’accueil triomphant qu’avait reçu Girl à sa projection.
Victor Polster a remporté le prix de la meilleure interprétation pour son rôle dans le film « Girl », dans la sélection Un certain regard. / STEPHAN VANFLETEREN POUR « LE MONDE »
« Grande qualité du travail présenté »
En ouverture de cette remise des prix, Benicio Del Toro a déclaré que « parmi les 2 000 films proposés cette année au Festival, les dix-huit sélectionnés à Un certain regard, depuis l’Argentine jusqu’à la Chine, [étaient] tous à leur manière des vainqueurs », précisant aussi que son jury « extrêmement impressionnés par la grande qualité du travail présenté » avait au final gardé les cinq longs-métrages qui les avaient « particulièrement émus ».
Dans ceux-là, aucun des trois films français présents : A Genoux les gars, d’Antoine Desrosières, Gueule d’Ange de Vanessa Filho et Les Chatouilles d’Andréa Bescond et Eric Metayer, trois œuvres dont le point commun est d’épaissir le trait, tant sur des procédés scénaristiques ou formels ; et ce, avec une telle insistance que le défaut paraît relever parfois du trouble obsessionnel compulsif.