Cannes 2018 : « Dans la terrible jungle », la caméra dort chez les super-héros
Cannes 2018 : « Dans la terrible jungle », la caméra dort chez les super-héros
Par Clarisse Fabre
Le premier long-métrage de Caroline Capelle et Ombline Ley est un film-performance tourné dans un centre d’accueil pour jeunes handicapés.
Après dix jours de Festival de Cannes, est venue l’heure de désigner les gagnants de la compétition officielle. On parlera de la Palme d’or, des prix d’interprétation ou de la Caméra d’or 2018, comme autant de mots évocateurs d’un conte de fées que reste toujours un festival, pour celui ou celle qui en est l’invité.
D’autres super-héros et héroïnes non palmés resteront dans l’histoire de cette 71e édition. Il était une fois Dans la terrible jungle, premier long-métrage de Caroline Capelle et Ombline Ley présenté dans la section ACID (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion). Les jeunes réalisatrices ont posé leur caméra dans un centre d’accueil pour jeunes handicapés, atteints de troubles de déficience visuelle, d’autisme… La Pépinière, lieu fermé, coupé du monde extérieur, se situe à Loos, dans les Hauts-de-France.
TEASER 3 - DANS LA TERRIBLE JUNGLE de Caroline Capelle & Ombline Ley (ACID Cannes 2018)
Durée : 00:46
Sans baguette magique, mais par on ne sait quelle alchimie née de la rencontre entre ces jeunes et les deux cinéastes, Dans la terrible jungle est devenu un « teen-movie », une sorte de comédie musicale où se racontent des histoires d’amour, les « claques » que l’on se prend dans la vie, ou les moments tout simples du quotidien. Les jeunes sont les super-héros de cette performance filmique hors norme.
On a rencontré les deux réalisatrices sur une plage cannoise, avec des éducateurs de La Pépinière et quelques-uns de ces « super-héros » : Alexis, qui porte dans le film un tee-shirt de Superman et un masque de Batman « pour sauver les gens » ; Léa, qui chante et rêve d’écrire des scénarios ; Valentin, qui nous parle de son plaisir de jouer.
« On avait une caméra et notre voiture »
Commençons par la genèse de ce long-métrage. Caroline Capelle et Ombline Ley ne voulaient pas « faire un film sur le handicap », disent-elles. Leur imaginaire leur a permis d’envisager les choses autrement. Elles se sont connues aux « Arts déco » de Paris (Ecole supérieure nationale des arts décoratifs), section photo vidéo. Caroline était photographe et Ombline sortait d’un BTS montage. « En plus d’être assistante monteuse, j’ai fait plusieurs métiers dans le cinéma, chef déco, accessoiriste, sur des petits tournages. Je me cherchais… Aux Arts déco, on nous a appris à faire des films tout seuls, sans grosse équipe », raconte Ombline Ley. Elles ont étudié la vidéo avec les artistes Clarisse Hahn et Brice Dellsperger. « On avait une caméra et notre voiture. On s’est dit, on y va ! ».
TEASER 4 - DANS LA TERRIBLE JUNGLE de Caroline Capelle & Ombline Ley (ACID Cannes 2018)
Durée : 00:55
Elles ont d’abord passé du temps avec les jeunes, sans les filmer, juste pour faire connaissance. Et quelque chose s’est déclenché. La caméra dort, personne ne s’en sert ? Les jeunes résidents sont devenus impatients. « Ils se demandaient ce que l’on faisait avec notre caméra. Ils voulaient filmer. On leur a dit, proposez-nous des histoires. C’est votre tribune ! On les a laissé choisir les personnages, les dialogues. On a testé leurs propositions jusqu’au bout », racontent-elles. L’une des jeunes filles, Ophélie, fait des percussions avec son corps et tout ce qu’elle trouve. Une scène sidérante, assez punk, la montre en train de se brosser les dents, tout en produisant la mélodie et la rythmique de La Marseillaise.
Impossible de démêler le réel de la fiction. Des moments documentaires se sont imbriqués aux scènes jouées. Les adolescents ont leur univers, très riche et stimulé par toutes sortes d’activités proposées dans ce centre hors norme, lui aussi : musique, chant, percussions corporelles, détente et relaxation, activité jardin et nature, ferme équestre. Eric, l’un des éducateurs, a commencé à La Pépinière comme jardinier, il y a trente-et-un ans. C’est lui qui a tout planté sur les quinze hectares. Aujourd’hui, il transmet sa passion aux jeunes. « La nature, c’est la vie. C’est anti-stress. Ils peuvent crier, se détendre », résume-t-il.
Un Buster Keaton en puissance
Une scène le montre en plein travail avec Gaël, un adolescent qui ne va pas tarder à partir en vrille. Les réalisatrices étaient là, par « chance », et elles ont saisi l’instant : Gaël saute partout, tombe, sort du champ de la caméra, dans une performance à la fois sauvage et ludique. S’est-il fait mal ? « Pas du tout, il maîtrise, il a une souplesse, amortit ses chutes. Pour lui, c’est naturel, c’est une façon de se calmer », explique Eric. Un Buster Keaton en puissance, en quelque sorte.
TEASER 2 - DANS LA TERRIBLE JUNGLE de Caroline Capelle & Ombline Ley (ACID Cannes 2018)
Durée : 01:01
Léa, dont on peine parfois à imaginer qu’elle a un handicap, tant son propos peut être clair et structuré, s’est mise à chanter à l’âge de 8 ans. « Avec les adultes du centre, Jean-Claude, Bastien et Thimothée, on a créé le groupe Musicolor, on chantait nos chansons, on faisait voyager les gens. On n’écrivait pas les paroles, on les retenait de tête. La salle de musique, c’est la salle magique, on oublie tous nos problèmes », dit-elle.
Caroline Capelle et Ombline Ley savaient qu’une lettre d’amour circulait… Chaque fois qu’elles revenaient au centre, il y avait une nouvelle histoire. Valentin a bien voulu raconter ses émois amoureux, devant la caméra. « C’était de la fiction. J’ai inventé un poème dans la nuit », nous dit-il sur la plage. Quels mots lui dire, à cette fille qui l’attire ? Il a fallu refaire les prises une dizaine de fois. La dernière a été la bonne. Ce n’était pas trop fatigant, lui demande-t-on ? « Non, non. Tant qu’on faisait le film, on était bien… ». Et ils eurent beaucoup d’applaudissements à la fin de la projection cannoise.
TEASER 1 - DANS LA TERRIBLE JUNGLE de Caroline Capelle & Ombline Ley (ACID Cannes 2018)
Durée : 00:53
Documentaire de Caroline Capelle et Ombline Ley (1 h 21). Sortie en salle en février 2019. Sur le Web : www.lacid.org/fr/films-et-cineastes/films/dans-la-terrible-jungle et www.facebook.com/AcaciasDistribution