Hassan travaille à Aronnes (Allier) aux Jardins de Cocagne, une entreprise solidaire qui accompagnent les personnes vers l'emploi en leur permettant de cultiver trois hectares de légumes bio et de les vendre. Le 12 septembre 2017. / SANDRA MEHL POUR "LE MONDE"

En juillet 2017, discuter avec Hassan sans la présence de l’interprète, Adel El-Kordi, aurait été impossible. A l’époque, il nous avait reçu dans son petit studio sous les combles d’un immeuble vétuste de Vichy. Avec une grande pudeur et une légère appréhension, il nous avait expliqué comment ses souvenirs le bousculaient, l’empêchaient souvent de trouver le sommeil. Il avait besoin de parler.

Il faisait chaud en cette nuit de juillet et seul un mince souffle tiède se propageait dans la pièce. Alors il avait préparé du café, allumé un ventilateur et entrouvert son ­vasistas. Il s’était laissé tomber sur le lit en s’excusant de nous recevoir dans pareille fournaise. C’est dans ce décor que nous ­avions discuté plusieurs nuits de suite de son odyssée, du périple qui l’avait amené de l’Erythrée aux berges de l’Allier. Adel El-Kordi traduisait consciencieusement chacun de ses mots. C’était il y un an à peine.

Aujourd’hui, Hassan ne s’excuse plus de son logement, et l’après-midi où nous le retrouvons Adel n’est pas disponible pour la traduction. Si la présence de l’interprète reste importante, elle n’est plus indispensable. Hassan parle désormais français. Devant son nouvel appartement situé au rez-de-chaussée d’un ­ancien hôtel du centre-ville de Vichy est garée une Peugeot 307 grise, un véhicule qui lui permet de se rendre tous les jours au travail. « Pour la première fois depuis dix ans, j’ai enfin l’impression d’être installé », confie cet Erythréo-Soudanais de 37 ans avec une certaine fierté.

Faux passeport

Hassan a dû fuir l’Erythrée en 2010 pour échapper au service militaire, qui dans le pays n’a pas de durée légale et peut durer toute la vie. Après plus d’un an passé à ­Khartoum, au Soudan, où il pense pouvoir s’installer mais est victime de racisme de la part de certains Soudanais, il s’envole en direction ­d’Istanbul avec un faux passeport puis entre clandestinement en Grèce en traversant l’Evros.

Son calvaire hellénique prend fin en 2015, l’année où des milliers de Syriens débarquent sur les côtes grecques pour fuir la guerre

Si la Grèce devait au départ être une destination temporaire, il y restera quatre ans contre son gré, faute d’argent et de ­solution pour continuer vers l’Allemagne, la France ou l’Italie. Quatre ans de labeur ­clandestin dans des ­exploitations agricoles peu scrupuleuses des conditions de travail des migrants. Hassan y était chargé d’épandre des produits toxiques et des engrais ­interdits sur des amplitudes ­horaires pouvant ­dépasser les dix heures par jour. Le tout pour un salaire mensuel de 150 euros.

« C’était très dur d’attirer l’attention sur ma situation. En plus, le racisme était extrêmement fort. On était des monstres qui sortaient tout droit de la mer, comme m’a dit un jour une fillette, raconte Hassan pour résumer sa vie en Grèce. Je me faisais traiter de “nègre” tous les jours. Les gens me dévisageaient dans la rue. Ils se retournaient quand je passais, comme s’ils n’avaient jamais vu un Noir. »

« Des flots de réfugiés comme des bataillons »

Son calvaire hellénique prend fin en 2015, l’année où des milliers de Syriens débarquent sur les côtes grecques pour fuir la guerre. « Les réfugiés étaient dans tous les bus du pays. Plus personne ne se cachait. C’était surréaliste. Et comme l’offre s’adapte à la ­demande, les prix des passeurs avaient ­considérablement baissé. Je suis parti avec des dizaines de ­réfugiés vers Thessalonique. Nous avons marché, marché et encore marché. Les flots de ­réfugiés sur les routes avançaient en rang, comme des bataillons », raconte-t-il.

Hassan traverse l’Europe à pied et en voiture jusqu’en Italie avant de rallier la France. Une fois à Paris, il rejoint l’ancien ­lycée Jean-Quarré, squatté par des centaines de migrants dont les Soudanais avec lesquels il va être évacué vers Varennes-sur-Allier et fondera le groupe Soudan Célestins Music. Une fois sa demande d’asile ef­fectuée, il emménage à Vichy, puis obtient officiellement son statut de réfugié.

Tous les jours depuis un an, Hassan se rend à Arronnes, un village situé aux abords de ­Vichy, où il travaille aux Jardins de Cocagne, une petite exploitation agricole d’insertion.

Durant son temps libre, il joue du synthétiseur. Assis sur son lit, le piano électronique posé face à lui sur une chaise, il laisse ses doigts aller sur le clavier et ferme les yeux. Maintenant qu’il est installé, il fait de la ­musique pour voyager.