Le chemin parcouru par ­Ahmed, Hassan, Ali et les autres Soudanais de Vichy permet de pointer quels sont les accélérateurs d’intégration et les perturbateurs qui bloquent le subtil processus permettant aux nouveaux venus de se faire une place dans la société française. Le Monde en fait ici une revue subjective.

Obtenir le statut de réfugié

Ce qui ne marche pas C’est trop long tout ça ! Arrivé à l’été 2015 en France, Ahmed n’a obtenu son statut de réfugié qu’en juin 2017. Il est certes le dernier des Soudanais de Vichy à avoir reçu sa réponse puisque le temps moyen d’une demande, recours compris, est plutôt de onze mois. La loi a

sile et immigration de ­Gérard Collomb, en discussion, prévoit de réduire ce temps d’instruction pour une réponse en six mois au maximum. Mais il faudra y ajouter le temps mort, souvent long, antérieur au dépôt même de la demande. La ­volonté est là, restera à mettre les moyens pour y parvenir.

Apprendre la langue

Ce qui ne marche pas Les 200 heures de français accordées par le gouvernement ne permettent pas de maîtriser suffisamment vocabulaire et syntaxe pour pouvoir travailler. D’autant que le réfugié ne bénéficie de ces cours délivrés par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) qu’une fois son statut ­obtenu, c’est-à-dire plus d’un an après son arrivée. En plus de ces 200 heures, Ahmed et Ali ont ­bénéficié d’une formation complémentaire en langue et en usage des outils numériques, ­offerte par Pôle emploi. Mais en Allemagne, par exemple, qui propose d’emblée jusqu’à 900 heures de cours de langue, l’autonomie est plus rapidement atteinte par les nouveaux venus.

Ce qui marche Le réseau Vichy ­Solidaire a commencé à donner des cours de français aux demandeurs d’asile dès leur arrivée dans le centre d’accueil et d’orientation de Varennes-sur-Allier. Sitôt les demandeurs d’asile installés dans le centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) de Vichy, en février 2016, ces bénévoles se sont relayés pour assurer chaque mardi et vendredi, matin et après-midi, des cours de langue. Une façon indispensable et efficace de tuer ce long temps de l’attente, mais aussi d’avancer un peu vers une possible intégration.

Occuper le temps

Ce qui marche Retraité propriétaire d’un petit arpent de terre, Jacques Lenoir a mis une partie de ce champ à disposition du collectif des demandeurs d’asile. ­Tomates et fines herbes ont ainsi poussé grâce aux heures de travail de ces hommes, heureux d’avoir une activité sociale pour occuper les mois dans l’attente d’une réponse de l’Etat français. Issam Othman, lui, réfugié soudanais de la première heure, les a aidés à monter une pièce de ­théâtre autour du Petit Prince de Saint-Exupéry ; un autre moyen de ­s’approprier un vrai pan de la culture de leur pays d’accueil.

Par ailleurs, la création du groupe Soudan Célestins Music a été un accélérateur d’intégration pour Ahmed, Hassan, Ali, Anwar et Alsadig. Chanter dans sa langue, replonger dans les traditions de son pays et les partager avec d’autres réfugiés ou avec les ­spectateurs français reste sans doute le meilleur moyen de créer un pont entre les cultures d’origine et d’accueil.

S’intégrer par le travail

Ce qui marche Hassan a signé un contrat d’insertion avec les Jardins de Cocagne. Anwar avec une ­entreprise de bois… Ces formations, prévues pour des personnes éloignées de l’emploi, intègrent aussi des cours de langue et un ­apprentissage des codes sociaux de l’entreprise. Il laisse le temps de s’accoutumer aux pratiques professionnelles françaises.

Ce qui ne marche pas Officiellement, un demandeur d’asile n’est pas autorisé à travailler durant l’année antérieure à l’obtention du statut de réfugié, ce qui freine d’autant son intégration. Le député du Val-d’Oise Aurélien Taché (LRM), auteur d’un rapport sur l’intégration, a obtenu qu’on inscrive, dans la loi asile et immigration, la possibilité de demander l’autorisation de travailler huit mois après avoir déposé sa demande.

Avoir un modèle

Ce qui marche Arrivé en 2001 à ­Vichy comme réfugié politique, le Soudanais Issam Othman a été le « premier Noir de Vichy », comme il se définit lui-même. Avec ses compatriotes nouveaux venus, il a joué le rôle du guide, du traducteur et du soutien. Il a prouvé par l’exemple que l’intégration est possible.

Maîtriser la bureaucratie

Ce qui ne marche pas Ahmed a peiné à obtenir une formation pour conduire des poids lourds en France. « Il fallait trois niveaux de validation avant d’avoir l’accord de Pôle emploi pour le financement, ce qui lui a fait perdre des possibilités de se former bien plus tôt », regrette Pablo Aiquel, un soutien solidaire vichyssois. A Pôle emploi, la gestion de toutes les démarches par le biais d’une interface numérique, sans l’appui d’un conseiller, complique largement la donne pour ce public peu au fait des pratiques françaises et encore fragile sur la maîtrise du français administratif.

Trouver un logement

Ce qui ne marche pas Le passage du CADA au logement non aidé est un des gros points noirs de ­l’intégration en France. Ahmed et Ali se sont ainsi tous deux retrouvés sans logement, dès l’obtention du statut de réfugiés. Le premier a été hébergé par un citoyen solidaire, mais le second a dormi dans la rue. Tous deux ont été priés de quitter leur chambre de demandeur d’asile avant qu’ils ne trouvent une alternative.