Jeu vidéo : « Il faut laisser les artistes et les projets aller à leur rythme naturel »
Jeu vidéo : « Il faut laisser les artistes et les projets aller à leur rythme naturel »
Propos recueillis par William Audureau
Mike Wilson, cofondateur de l’éditeur Devolver, explique le raisonnement derrière l’annonce d’un jeu vidéo Super Nintendo dédié aux dérives de l’industrie.
Peu de joueurs goûteront à « Crunch Out », jeu Super Nintendo en édition limitée. Mais sa simple existence suffit à attirer l’attention sur les problèmes de l’industrie du jeu vidéo, se félicite Mike Wilson. / MEGACAT/DEVOLVER
Mike Wilson est le cofondateur de Devolver, éditeur de jeu vidéo américain connu pour sa communication décalée et son engagement progressiste. Il explique au Monde comment son entreprise en est venue à annoncer le 11 mai un projet aussi atypique que Crunch Out, jeu de gestion en édition limitée sur Super Nintendo, une console des années 1990. Il met en scène le directeur financier fictif de Devolver dans une course aux profits révélant les abus de management dans l’industrie du jeu vidéo. Il dénonce notamment la pratique du « crunch », longue période de surcharge intensive de travail, pouvant dépasser les soixante-dix heures par semaine, fréquente dans le jeu vidéo en période de bouclage.
Le Monde : Comment est né cet étonnant projet de jeu de gestion sur Super Nintendo, avec le cynisme de l’industrie du jeu vidéo et mal-être au travail comme toile de fond ?
Mike Wilson : Il n’y a pas tant de choses à raconter sur la genèse de ce projet… Nous voulions travailler avec le studio Megacat parce qu’ils font des trucs cool, et c’est devenu un jeu dans lequel Fork Parker [le directeur financier vénal fictif de Devolver] domine les développeurs. Il s’est transformé en jeu caritatif à propos du « crunch » de manière assez organique. TakeThis.org [association de sensibilisation à la santé psychologie des salariés, à qui sont reversés les bénéfices] était l’association la plus évidente étant donné son excellente étude Crunch Hurts, et son travail pour faire en sorte que l’on parle davantage de la question du bien-être des développeurs.
S’agissant d’un jeu caritatif, n’aurait-il pas été plus logique de le sortir sur PC, là où l’essentiel des acheteurs potentiels se trouvent ?
Encore une fois, on a pensé d’abord au produit, et seulement ensuite à l’association Take This. C’est juste un petit projet amusant pour les collectionneurs, pas un développement commercialement viable. Une petite recherche Google prouve que s’il a plus d’attention que d’autres petits jeux, c’est parce qu’il sort sur Super Nintendo. Il n’y a pas besoin d’acheter le jeu pour apprécier le message.
Qu’est-ce qui empêche les joueurs de penser que les studios partenaires de Devolver ne travaillent pas aussi sous la pression de leur éditeur – vous ? Le problème du crunch semble structurel dans cette industrie…
C’est certain, les développeurs indépendants avec qui Devolver travaille ne sont pas immunisés contre le crunch – ils se l’imposent le plus souvent de manière bien plus dure qu’aucun boss de studio ne le ferait – et pas immunisés contre les problèmes de mal-être qui viennent avec. En fait, prendre conscience du degré de pression que les indés à succès avec lesquels on travaille s’imposent, de la difficulté d’être une toute petite équipe devant faire face à une communauté de fans de plus en plus exigeante, et avec laquelle il faut échanger régulièrement en direct, c’est ça qui m’a personnellement impliqué dans TakeThis et sa mission.
Quant à notre réputation, c’est aux développeurs qu’il faut demander, comme je le dis toujours. Nous ne pensons pas que la pression soit efficace, jamais ; et dans nos contrats les développeurs ont toujours le dernier mot. La plupart de nos jeux sont souvent commercialisés en retard, et nous pensons que laisser les artistes et les projets aller à leur rythme naturel dans la création, tout comme laisser notre ego en dehors quand il s’agit de contrôle créatif, sont peut-être les principales raisons de notre succès.
Sur un registre plus léger, Fork Parker est un cas rarissime de mascotte d’entreprise de jeu vidéo qui soit cynique, un peu à la manière de Wario dans Wario Ware (ou d’une version perfide de Dr. Wright, le conseiller dans Sim City). Est-ce qu’il pourrait devenir un personnage récurrent pour ce genre de jeu à message ?
Fork fait ce qu’il a envie de faire… Je n’ai aucune idée de ses prochains plans !