La Cour de cassation confirme l’extradition vers l’Argentine d’un tortionnaire présumé
La Cour de cassation confirme l’extradition vers l’Argentine d’un tortionnaire présumé
Par Angeline Montoya
Depuis 2012, Buenos Aires réclame à Paris de pouvoir juger Mario Sandoval, un ancien policier franco-argentin accusé de crimes contre l’humanité pendant la dictature.
Beatriz Cantarini de Abriata, la mère de Hernan Abriata, dont le corps n’a jamais été retrouvé depuis son arrestation en 1976, lors d’une manifestation devant l’ambassade de France en Argentine, à Buenos Aires, en avril 2014. / DANIEL GARCIA / AFP
Six ans après la demande formulée par l’Argentine, la Cour de cassation française a finalement décidé, jeudi 24 mai, de rejeter le recours de Mario Sandoval, un ex-policier franco-argentin accusé de crimes contre l’humanité pendant la dictature (1976-1983), ouvrant la voie à son extradition.
« C’est une grande victoire, a affirmé Me Sophie Thonon-Wesfreid, avocate de l’Etat argentin. Nous avions l’espoir que la justice française cesse d’être le refuge des grands criminels, mais nous avions des raisons d’en douter, car nous avions la jurisprudence sur le Rwanda contre nous. » En 2014, la Cour de cassation avait en effet rejeté les demandes d’extradition de trois Rwandais réclamés par Kigali à la France et accusés d’avoir participé au génocide. « Je me réjouis de cette décision innovante de la Cour de cassation, en rupture avec ses décisions antérieures », a ajouté l’avocate, qui a précisé n’avoir pas encore lu les éléments sur lesquels le tribunal s’est appuyé pour rendre son avis.
Mario Sandoval a utilisé tous les recours possibles qu’offre la justice française pour retarder son extradition. Demandée par le juge argentin Sergio Torres en mars 2012 dans le cadre de l’affaire dite « de l’Ecole de mécanique de la marine » (ESMA) – centre clandestin de détention et de torture de Buenos Aires d’où ont disparu quelque 5 000 opposants –, l’extradition avait été autorisée dans un premier temps par la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris en mai 2014. Elle avait ensuite été freinée par un arrêt de la Cour de cassation en février 2015, pour un motif lié à la prescription des faits.
Le tribunal de Paris a alors décidé que la demande d’extradition serait renvoyée devant la cour d’appel de Versailles. Le 19 octobre 2017, celle-ci a émis un nouvel avis favorable à l’extradition, mais M. Sandoval, qui a été identifié en Argentine par de nombreux survivants du centre de torture, s’est immédiatement pourvu en cassation.
Mario Sandoval, 65 ans, installé à Paris depuis 1985 et naturalisé français en 1997, est soupçonné d’avoir participé à plus de 500 faits de meurtres, tortures et séquestrations, sous les ordres de la dictature du général Jorge Videla. Parmi ces crimes figure l’enlèvement, le 30 octobre 1976, d’un étudiant de 25 ans, Hernan Abriata. Son dossier est le seul sur lequel Buenos Aires s’appuyait pour demander son extradition, car elle dispose d’une dizaine de dépositions qui l’impliquent.
« C’est un grand jour pour toute la famille, s’est réjouie depuis Buenos Aires Laura Abriata, la sœur d’Hernan, jointe au téléphone par Le Monde. Cela fait quarante et un ans que nous attendons que justice soit faite, et pour ma mère, qui a 91 ans, ça fait long. Et ce n’est pas encore terminé. »
En effet, l’extradition doit d’abord être entérinée par un décret du premier ministre, Edouard Philippe. Dans ce cas, M. Sandoval pourra demander son annulation devant le Conseil d’Etat. « Nous entrons maintenant dans une nouvelle phase, plus politique, précise Me Thonon-Wesfreid. Nous allons tout mettre en œuvre pour que les choses ne traînent pas encore six ans et pour que la famille d’Hernan Abriata puisse enfin voir M. Sandoval, qui devra, si sa culpabilité est établie, répondre de ses actions devant la justice. Il est indispensable que le gouvernement marque à présent la même détermination que la Cour de cassation sur les extraditions de personnes accusées des crimes les plus graves. »
Hernan Abriata militait au sein des Jeunesses universitaires péronistes. Le 30 octobre 1976, une unité d’intervention dirigée par Mario Sandoval l’a enlevé de son domicile de Buenos Aires. Emmené à l’ESMA – où un message d’amour gravé sur un mur à l’intention de son épouse, Monica Dittmar, a été retrouvé en 2017 –, il a été torturé, puis probablement assassiné. Son corps n’a jamais été retrouvé, ce qui, pour la justice argentine, signifie que le crime ne peut pas être considéré comme prescrit.
Mario Sandoval, s’il est finalement extradé vers l’Argentine, doit être jugé lors du quatrième volet du « Mégaprocès » sur les crimes commis dans l’enceinte de l’ESMA. Le troisième volet, qui s’est ouvert en novembre 2012, s’est terminé en novembre 2017 avec des peines de réclusion à perpétuité pour 29 des anciens tortionnaires.
L’Argentine a commencé à juger les responsables de la sanglante dictature civico-militaire – qui a fait 30 000 disparus, selon les organisations de défense des droits humains – après l’abrogation des lois d’amnistie en 2003 et la confirmation de leur inconstitutionnalité par la Cour suprême deux ans plus tard. A la date du 15 mars, 2 985 personnes (militaires, policiers et civils) ont été suspectées, mises en examen ou condamnées pour crimes contre l’humanité, et 1 034 d’entre elles se trouvaient en détention.