A Souleimaniyé, en Irak, dans une prison regroupant des djihadistes de l’organisation Etat islamique. / Zohra Bensemra / REUTERS

Aucun des principaux Européens concernés par les départs de djihadistes en Syrie et en Irak n’a insisté pour les faire juger par sa justice. Seuls la peine de mort et le sort des mineurs posent véritablement problème.

Belgique. Selon des sources officieuses, une trentaine de Belges auraient été capturés lors de la chute de l’organisation Etat islamique (EI) à Mossoul, et quelques autres à Rakka, sur les 498 partis rejoindre l’EI en Syrie et en Irak. Le seul combattant clairement identifié, Tarik Jadaoun, pourrait faire prochainement l’objet d’un procès en Irak. Il risque une lourde condamnation, peut-être la peine de mort.

Originaire de Verviers, un foyer du djihadisme en Belgique, ce jeune de 28 ans avait menacé la Belgique et la France en 2014 et entraîné des enfants de 8 à 13 ans au combat. Il s’est présenté comme le successeur d’Abdelhamid Abaaoud, l’un des coordinateurs présumés des attentats du 13 novembre 2015. Jadaoun affirme aujourd’hui avoir surtout assumé un rôle d’infirmier et a indiqué aux services belges de renseignement qu’il pourrait, en échange de son retour, fournir des informations importantes. Sans convaincre les autorités de son pays, qui n’entendent pas répondre à ses offres de service.

Que faire si d’autres Belges sont jugés en Syrie ou en Irak et y sont condamnés à la peine capitale ? Il n’existe pas de traité d’extradition avec Bagdad et il n’y a plus de relations diplomatiques avec Damas. Donc, « autant laisser faire les autorités de ces pays », indique un magistrat. Contrairement au premier ministre néerlandais, Mark Rutte, qui a estimé qu’il valait mieux que ceux qui étaient partis meurent sur place, Bruxelles n’a pas fait de déclaration, mais devrait calquer son attitude sur ses voisins.

Bruxelles a recensé, par ailleurs, 45 enfants partis vers la Syrie et l’Irak, et 105 autres nés sur place. Le gouvernement de Charles Michel a indiqué que ceux qui ont moins de 10 ans pourraient revenir au pays. Des tests ADN pourraient être pratiqués pour déterminer leur origine exacte.

Allemagne. Sur les 960 personnes ayant quitté le pays pour rejoindre l’EI, au moins 145 seraient mortes et un peu plus de 200 seraient rentrées outre-Rhin. Parmi les 600 autres, le nombre précis de ceux qui sont actuellement prisonniers en Syrie ou en Irak n’est pas connu.

Berlin a rappelé, le 15 octobre 2017, aux autorités irakiennes, qu’il était attaché au respect des règles de l’Etat de droit et opposé à la peine capitale. Cela n’a pas empêché la cour pénale de Bagdad de condamner à mort, le 21 janvier, une ressortissante allemande de 50 ans d’origine marocaine qui avait rallié l’EI en Syrie puis en Irak avec ses deux filles, dont l’une, âgée de 21 ans, vient d’être condamnée à un an de prison. Berlin n’a pas réagi officiellement à cette condamnation à mort, la première dans le cas d’une Européenne jugée en Irak. Mais, selon l’hebdomadaire Der Spiegel, le gouvernement aurait entrepris des démarches pour que la peine soit commuée en peine de prison. Si l’Allemagne reconnaît travailler avec la justice irakienne pour échanger des informations à propos de ses ressortissants ayant rejoint l’EI, il n’en va pas de même avec la Syrie, où son ambassade à Damas est fermée depuis 2012.

Concernant ceux qui sont revenus, le débat s’est concentré, ces dernières semaines, sur le sort des mineurs, dont le nombre est estimé à une centaine. « Nous sommes conscients du danger que représente le retour en Allemagne d’enfants de djihadistes qui ont été socialisés et endoctrinés dans les zones de combat », a affirmé Hans-Georg Maassen, le président de l’Office fédéral de protection de la Constitution (BfV), chargé du renseignement intérieur, mi-décembre.

Royaume-Uni. Selon le MI5, le service de renseignement extérieur britannique, quelque 850 ressortissants britanniques sont partis combattre avec l’EI : 150 auraient été tués et 400 seraient rentrés. Le seul cas rendu public de Britannique détenu en Syrie concerne Jack Letts, 21 ans, un ancien étudiant d’Oxford converti, surnommé par la presse « Jihadi Jack ». Capturé en mai 2017 par les forces kurdes, il serait détenu à Kamechliyé. Les Kurdes se disent prêts à le transférer au Canada – dont il a aussi la nationalité – ou au Royaume-Uni, mais le Foreign Office reste silencieux.

En décembre 2017, Gavin Williamson, le ministre de la défense, a déclaré qu’« aucun terroriste [y compris britannique] ne devrait être autorisé à rentrer dans ce pays » et qu’« un terroriste mort ne peut plus nuire à la Grande-Bretagne ». Ces déclarations contredisent radicalement celle du contrôleur indépendant de la législation antiterroriste, l’avocat Max Hill, qui met en garde contre le danger de « perdre une génération ». Au Royaume-Uni, qui a connu en 2017 une vague d’attentats islamistes sans précédent depuis 2005, le débat public se concentre sur les risques liés au retour des djihadistes.

Scandinavie. La Suède a enregistré 300 départs, et la moitié de retours, selon les services de renseignement, qui ne communiquent pas sur le nombre de Suédois détenus en Syrie ou en Irak. Mi-décembre 2017, la ministre des affaires étrangères, Margot Wallström, a convoqué l’ambassadeur d’Irak pour avoir des explications sur l’exécution d’un homme d’une soixantaine d’années, portant la double nationalité irako-suédoise et capturé alors qu’il combattait aux côtés de l’EI. Pendant plus d’un an, la Suède avait fait pression sur le gouvernement irakien pour que la condamnation à mort soit commuée en une longue peine de prison.

A cette occasion, le premier ministre Stefan Löfven a précisé la position du gouvernement : « Si on se rend dans un pays, et on y commet un crime, il faut compter être puni dans ce pays. Cependant, nous rappelons aussi notre opposition de principe à la peine de mort. » Plus tôt, le ministère des affaires étrangères avait d’ailleurs fait savoir qu’il ne viendrait pas en aide aux djihadistes suédois capturés à l’étranger. Même son de cloche au Danemark, où le sujet ne fait pas plus débat qu’en Suède. Un silence qui, selon Magnus Ranstorp, expert suédois du terrorisme, « montre que les gouvernements préféreraient que les djihadistes ne reviennent pas du tout ».