Accueil des candidats à la Kedge Business School, à Paris. / Eric Nunès / Le Monde

La grande boucle : une course de fond avec ses étapes disséminées dans presque toutes les régions de l’Hexagone. Chaque année, ils sont des milliers, lycéens et étudiants, candidats aux grandes écoles, à sillonner, en quelques semaines, les territoires, enchaînant examens écrits et oraux. C’est une longue ascension avec ses coups de fatigues, de stress et quelques renoncements. Mais ce sont également des découvertes, des moments de partage, une parenthèse avant le grand saut vers un nouveau cursus.

« 5 200 kilomètres » : c’est la distance que Pauline Taupin, étudiante dans une école de commerce, a parcourue en 2017 pour enchaîner les examens dans une dizaine d’établissements. Rien d’exceptionnel : Doriane Frayssou, cette année en classe préparatoire au concours d’orthophonie en Ile-de-France, égrène onze étapes : « Limoges, Clermont-Ferrand, Strasbourg, Brest, Bordeaux, Lyon… Quand les candidats sont au nombre de 1 500 pour une trentaine de places on ne peut pas se permettre d’en rater un. » Alors elle révise et voyage.

Pour réussir son Tour de France et donc décrocher une place dans l’école de son choix, il est impératif d’être « organisé », pointe Teddy Poujol, élève ingénieur, qui livre ces conseils : « Préparez votre itinéraire, réservez votre logement ainsi que les billets de trains. » Une intendance sur mesure est nécessaire pour limiter les moments de stress et s’assurer un sommeil réparateur la veille des examens. Les candidats qui manquent une occasion de passer un concours en raison d’un retard à leur convocation ne sont pas rares. « Cela m’est arrivé, raconte une étudiante. Je ne connaissais pas la ville et pour parvenir au point de rendez-vous, il fallait prendre un bus puis une correspondance avec un tramway. » Après plusieurs centaines de kilomètres de transport en commun et trois correspondances, il lui a manqué quelques minutes pour passer l’examen.

Prévoir, anticiper, s’adapter

Le train est souvent le premier moyen de transport utilisé par les candidats. Cette année, « on peut dire que la grève de la SNCF n’a pas facilité les choses », pointe Benjamin Defay, étudiant lillois en journalisme. Que les transports en commun fonctionnent ou pas, « les examens sont maintenus, poursuit Doriane. Fin mars, j’ai dû passer un concours à Clermont-Ferrand, les trains ne circulaient pas, mon père m’a emmenée en voiture. Je pensais que la salle d’examen serait vide du fait de la grève. J’avais tort, tous les candidats y étaient. » Prévoir, anticiper, s’adapter sont des qualités recherchées par les grandes écoles.

A force de répéter l’exercice des concours, le stress du premier oral laisse la place à une forme de routine, et les compétences des candidats pour l’exercice vont crescendo. Pauline Taupin, « pas du tout à l’aise à l’oral », a décidé d’en enchaîner dix pour s’assurer une admission. « Pour les derniers, j’ai été très performante », estime-t-elle. Cette montée en puissance, Alexandra Gazel, étudiante en école de commerce à Nantes, l’a prévue et a établi en conséquence son itinéraire hexagonal : « Mon circuit était stratégique dans la mesure du possible. J’ai passé en premier les écoles qui m’intéressaient le moins pour m’entraîner à l’exercice des oraux, puis celles que je souhaitais vraiment intégrer au milieu, et enfin celles pour lesquelles mon intérêt était mitigé à la fin, quand j’étais bien fatiguée. »

Soutien familial

Les épreuves rencontrées sont aussi l’occasion de tisser ou de resserrer des liens. Plusieurs candidats soulignent ainsi le bénéfice qu’a représenté le soutien de leur famille. « Ma mère m’accompagnait quand elle le pouvait. Elle partageait ma fatigue. C’est un réel soutien mental d’avoir un parent avec soi », témoigne Elodie Boutsingkham, aujourd’hui élève d’une école de management. « Les miens ont été très présents pendant cette période, dit Alexandra Gazel, nous avons fait le tour de France en voiture, d’hôtel en hôtel. Je ne me sentais pas seule et je savais qu’en cas de problème, je pouvais compter sur eux. »

Le soutien familial est essentiel, car même si tous les parents n’accompagnent pas leur progéniture dans leur marathon, le coût des examens est tel qu’une contribution financière des proches est souvent nécessaire. « Ça coûte cher… très cher », avertit Teddy Poujol, aujourd’hui élève ingénieur. « C’est un poids financier non négligeable », confirme Jessica Huynh, aujourd’hui journaliste. En additionnant les inscriptions aux concours, les billets de train et les hébergements, ce sont plusieurs centaines d’euros qui sont à chaque fois dépensés.

Expérience inoubliable et intense

Le tour de France des grandes écoles « est une expérience inoubliable, mais aussi très intense » pour Jessica. Trop parfois… Après un Marseille-Montpellier pour passer un oral, Simon Le Roux saute dans le tram direction la Montpellier Business School… « Mais je descends deux arrêts trop tôt, en costume je marche sous 35 degrés pour rejoindre l’établissement, j’arrive une heure plus tard stressé, fatigué, en sueur. La combinaison qui me fait rater mon entretien alors que je voulais cette école où j’étais bien classé à la suite des écrits », regrette le jeune homme – aujourd’hui cadre chez Siemens.

Car ce marathon des concours, « c’est aussi un bordel sans nom, résume Arnaud Bordinat, candidat en 2015 et aujourd’hui en master 2. Les écoles ne se coordonnent pas, j’ai passé 12 oraux en 25 jours ! Chaque école nous demande d’être présents une journée entière, c’est grotesque ». D’autant plus, ajoute-t-il, que « le schéma est toujours le même : amphi de présentation qui nous explique pourquoi c’est la meilleure, puis attente avant de passer les oraux ou l’on est forcé de faire ami-ami avec des gens que l’on ne reverra sûrement jamais ».

Bref, conclut le jeune homme, « elles vous disent qu’elles sont les écoles du futur et sont dans l’impossibilité de faire passer les entretiens sur Skype ! Ce manque d’organisation d’établissements qui sont des écoles de management… Un comble ! »