Joël Giraud, le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, en octobre 2017. / PATRICK KOVARIK / AFP

Il jure qu’il voulait rassurer, « être pédagogique ». Vendredi 25 mai en fin de journée, le communiqué de Joël Giraud, le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, a provoqué l’ire du gouvernement. Cela ne faisait que quelques heures qu’Edouard Philippe avait annoncé la reprise de 35 milliards d’euros de dette de la SNCF par l’Etat. Les précisions de M. Giraud sur les conséquences budgétaires de cette opération sont venues rappeler à quel point le sujet demeure sensible politiquement.

La reprise de la dette de SNCF Réseau – l’entreprise qui gère l’infrastructure ferroviaire – par l’Etat « devrait modifier la trajectoire des finances publiques, via une augmentation du déficit et de la dette publics », explique M. Giraud. Un scénario qui n’est cependant « pas abominable », souligne le député des Hautes-Alpes. En effet, il ne compromettrait pas le maintien du déficit de la France sous la barre européenne de 3 % du produit intérieur brut (PIB).

Compte tenu de la trajectoire de finances publiques précédemment arrêtée par l’exécutif pour le quinquennat, le déficit public devait en effet s’établir à − 0,9 % du PIB en 2020, et se transformer en excédent (+ 0,3 %) en 2022. Matignon a annoncé vendredi aux organisations syndicales de la SNCF que la reprise de la dette se ferait en deux temps : 25 milliards d’euros en 2020 et 10 milliards d’euros en 2022. Selon les calculs de Joël Giraud, la reprise de la dette de la SNCF fera donc passer le déficit à − 1,9 % dans trois ans, et à − 0,1 % dans cinq ans.

« Une approche fausse » pour Bercy

« C’est un scénario maximaliste, tende de déminer M. Giraud. Mais cela veut dire que, même dans le pire des cas, la soutenabilité de la dette française n’est pas un sujet malgré la reprise de la dette de la SNCF. » A Bercy, pourtant, on voit rouge. « Cette approche est fausse. Ne commençons pas à balancer des chiffres dans la nature, s’énerve-t-on. De ce que nous avons compris des discussions actuelles entre l’Insee et Eurostat [l’agence européenne de la statistique], qui doivent aboutir avant la fin de l’année, le plus probable est que la dette de la SNCF soit considérée comme celle d’une administration publique, et donc ne pèse pas sur le déficit» « L’analyse [de M. Giraud] n’est pas la nôtre », répondait-on aussi à Matignon, vendredi soir.

Toute la question, en effet, dépend du traitement comptable qui sera fait de la dette de la SNCF. Soit les organismes de statistiques estiment que SNCF Réseau est une « société non financière », et alors sa dette entrera dans la dette publique et aggravera le déficit. Soit – hypothèse privilégiée à Bercy – l’entreprise ferroviaire peut être considérée comme une administration publique. Ce serait le cas si moins de la moitié de ses coûts est couverte par des recettes marchandes. Dans ce dernier cas, ses déboires ne pèseront pas sur le déficit de l’Etat.

Pour M. Giraud, la cause est entendue : « Je suis dans mon rôle. Il s’agit de montrer que l’opportunité exceptionnelle qui s’offre à la SNCF est rendue possible par l’amélioration de la trajectoire des finances publiques. La réduction de la dette tricolore doit être une priorité, mais elle ne doit pas être une obsession. »

Débat tendu sur les finances publiques

Ces divergences viennent rappeler à quel point le débat sur l’état des finances publiques demeure délicat. Ce d’autant plus que Paris devrait sortir cette année de la procédure européenne de déficit excessif, en passant sous la barre des 3 % en 2017 et en 2018.

D’un côté, l’exécutif répète depuis des mois que l’amélioration de la trajectoire budgétaire, rendue possible notamment par la bonne conjoncture économique, ne doit pas dispenser d’efforts, notamment sur la réduction des dépenses publiques. Même si, pour l’heure, il n’a avancé aucune piste susceptible d’expliquer comment il compte y parvenir. De l’autre, de plus en plus de voix s’élèvent, jusque dans la majorité parlementaire, pour amener le gouvernement vers une position plus « sociale » et suggérer une redistribution des fruits de la croissance.

Joël Giraud n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai : début mars, l’ancien radical de gauche avait plaidé pour utiliser la « bonne fortune fiscale » de la France en faveur des Ehpad, des territoires désindustrialisés, voire des personnes bénéficiant de minima sociaux. Il s’était vu opposer une sèche fin de non-recevoir.

Depuis, le débat n’en finit plus de rebondir. Cette semaine, il a opposé Bruno Le Maire et Gérald Darmanin sur la baisse des aides sociales. « Expliquer qu’on va réduire la dépense sans rien toucher aux aides sociales, (…) ce ne serait pas juste ni lucide vis-à-vis des Français », a déclaré le premier. « Je pense qu’il ne faut pas toucher aux prestations sociales individualisées », a répondu le second, en accord avec Matignon et l’Elysée.

Vendredi matin, Edouard Philippe a confirmé qu’il n’y « aura pas d’impôt SNCF » pour compenser la reprise de la dette. Celle-ci, a-t-il précisé, « viendra s’ajouter à la dette publique de l’Etat et sera remboursée au même rythme que la dette publique de l’Etat ». « Ce sera bien une charge supplémentaire pour le contribuable », a encore indiqué le chef du gouvernement.

Selon M. Philippe, le montant de 35 milliards est le fruit d’arbitrages destinés à ce que la France ne « se place pas en situation de déséquilibre » alors qu’elle « est en train de revenir dans les clous de la maîtrise de ses comptes publics ».