A l’Essec, l’économie solidaire a fait son nid
A l’Essec, l’économie solidaire a fait son nid
Par Aurélie Djavadi
Première école de commerce à investir le terrain de l’entrepreneuriat social, l’Essec présente les arcanes de ce secteur chaque année à ses étudiants.
Le campus de l’Essec, à Cergy, en régiuion parisienne / CC-BY-SA-3.0
Même si elle reconnaît leur importance, Claire Barou avoue ne pas s’être sentie « transcendée » par ses cours de gestion. Venue en école de management pour « l’ouverture des possibles » et « la dimension internationale » de la formation, elle ne se projetait pas dans les métiers classiques de la finance ou du marketing : « Je ne pouvais pas me contenter de comprendre ce qu’est une value proposition, par exemple, j’avais besoin d’intégrer tous ces apprentissages dans une quête de sens. »
Alors, l’étudiante de l’Essec s’est investie dans un service civique de huit mois pour aider l’association Sports en ville à monter des partenariats en faveur de jeunes défavorisés. Surtout, elle s’est engagée en 2016 dans la chaire « Entrepreneuriat social » de son école afin de découvrir les arcanes de l’économie solidaire et ses perspectives de carrière.
Exemples concrets
Depuis 2002, l’Essec intègre en effet un pôle de recherche et d’enseignement dédié à ces organisations où les objectifs économiques sont au service d’une finalité sociale. Comme quinze autres chaires sur les vingt-trois que compte l’école, cette chaire propose chaque année un cycle de cours de janvier à juin à une vingtaine d’élèves du programme « Grande école » sélectionnés sur leur motivation. « On leur présente des profils qui peuvent les inspirer, on leur apprend à adapter les méthodes et les outils du management aux spécificités du secteur et les différentes façons de s’y impliquer. Le social, ce n’est pas que l’abbé Pierre ou Mère Teresa », souligne Thierry Sibieude, le fondateur de la chaire.
Avec le lancement d’Antropia, un incubateur d’entreprises adossé à la chaire, les cours peuvent d’ailleurs se nourrir d’exemples concrets, de l’association Rejoué, qui donne une deuxième vie aux jeux usagés, à la plate-forme Activ’Action, qui s’adresse aux demandeurs d’emploi. « On passe beaucoup de temps sur le terrain, que ce soit pour conseiller une PME sur sa politique de développement durable ou évaluer de bonnes pratiques en association, affirme Claire Barou. J’ai découvert les mille couleurs de cette économie dont je n’aurais pas soupçonné la variété. »
Mieux se faire connaître des futurs spécialistes en finance, audit, RH ou marketing, c’est d’ailleurs ce qui a incité des mutuelles ou groupes de logements sociaux à répondre présent dès que Thierry Sibieude a esquissé son projet. « Confrontées à une vague de départs en retraite et à un environnement de plus en plus complexe, ces entreprises étaient à la recherche de nouveaux profils. Or, elles n’étaient pas bien identifiées par les diplômés des grandes écoles », note le professeur de l’Essec, très engagé dans la vie associative et l’accompagnement de personnes handicapées.
Aujourd’hui, alors que la chaire compte plus de 300 anciens et que d’autres établissements comme HEC ou la Neoma Business School se penchent sur le sujet, un cap a été franchi. Deux tiers des jeunes passés par la chaire de l’Essec travailleraient dans l’économie sociale ou sur des questions de développement durable ou de responsabilité sociale dans d’autres entreprises. « On permet à des gens qui ont traversé de longues périodes de chômage de reprendre confiance en eux et de montrer leur activité, que ce soit dans le commerce, les services ou les transports. Ces créations génèrent d’ailleurs d’autres emplois », explique Alice Ponsero, diplômée en 2010 et déléguée territoriale de l’Association pour le droit à l’initiative économique, qui accompagne 300 entrepreneurs par an.
Préjugés
Si la chaire lui a permis de tisser des liens avec nombre de manageurs actifs dans le secteur, elle regrette la persistance, au-delà de ce réseau, d’un certain nombre de préjugés. « Des chasseurs de têtes continuent de m’appeler pour ma première expérience au Boston Consulting Group, alors que j’ai évolué et gagné en responsabilité depuis plusieurs années dans le secteur social. »
Pour faire rayonner le sujet auprès d’un public plus vaste, la chaire de l’Essec peut compter sur plusieurs appuis : des cours sur les enjeux de l’économie sociale dans le catalogue général d’enseignement, une dizaine de MOOC (massive open online courses) et le programme d’égalité des chances « Une grande école, pourquoi pas moi ? » dont les élèves « ont forcément entendu parler sur le campus », d’après Thierry Sibieude. Tout cela est une entreprise de longue haleine, mais l’enseignant est confiant pour l’avenir : « Si jamais je disparaissais, la question ne serait pas de savoir si on continue ou non le travail de la chaire, mais de savoir qui continue. »