La traversée du désert des jeux vidéo de tennis
La traversée du désert des jeux vidéo de tennis
Par William Audureau
« AO International Tennis » et « Tennis World Tour », avec leurs budgets restreints, tentent de pallier une longue absence.
« Tennis World Tour », sorti le 22 mai, à une semaine de Roland-Garros, marque le retour des jeux de tennis sur consoles. / Bigben Interactive
C’est déjà l’une des grosses surprises de cette édition 2018 de Roland-Garros : durant les interruptions dues à la pluie, les téléspectateurs pourront se rabattre sur leur manette pour prolonger les matchs. Après AO International Tennis le 8 mai, Tennis World Tour a été lancé mardi 22 mai, marquant le retour inespéré – à défaut d’être convaincant – des simulations de tennis sur consoles.
Nombreux dans les années 2000, les jeux du genre avaient en effet presque complètement disparu depuis six ans, laissant les joueurs orphelins de séries pourtant très appréciées, comme Virtua Tennis et ses échanges spectaculaires, ou les Top Spin et leurs rallyes techniques et pointus.
Chute des audiences aux Etats-Unis
Pourquoi un tel passage à vide ? La raison est tristement commerciale : le marché du jeu de tennis, autrefois florissant, a connu un effritement progressif de ses ventes. Alors que Virtua Tennis 2009 s’écoulait à 790 000 pièces à son lancement, sa suite Virtua Tennis 4 plafonnait à 670 000 en 2011. Et tandis que la série a connu sept opus entre 1999 et 2012, plus aucun n’est sorti depuis, SEGA ayant préféré cesser de la soutenir.
Il en va de même de Top Spin, qui connaît quatre épisodes entre 2003 et 2011, et plus aucun depuis. Ses ventes précises ne sont pas connues, mais on les devine très loin des cinq millions d’acheteurs annuels de la série de basket du même éditeur, NBA 2K, dont Take Two a fait sa simulation sportive de référence.
Depuis 2012, l’éditeur américain Take Two préfère se concentrer sur la juteuse licence « NKA 2K » et ses prestigieuses guest stars, comme Michael Jordan, plutôt que sur le tennis, un sport en déclin aux Etats-Unis. / Take Two
L’essoufflement de ces ventes est surtout notable du côté des Etats-Unis, où l’audience du sport a dévissé au début des années 2010. Ce désintérêt n’est pas étranger aux performances des tennismen américains : depuis Andy Roddick en 2003, tous les numéro 1 mondiaux ont été Européens. En 2014, la finale de l’US Open entre Kei Nishikori et Marin Cilic a même battu le record du plus faible nombre de téléspectateurs pour une rencontre finale de l’Open américain.
Le pire signal possible que puisse recevoir un éditeur de jeu vidéo, sensible aux tendances du public du marché numéro 1. Résultat : en 2014, Take Two ferme son studio tchèque 2K Czech, alors chargé de ses jeux de tennis, tandis que l’équipe derrière Virtua Tennis 4 est dissoute.
Le dinosaure de la Drôme
Depuis, et si l’on met de côté les Mario Tennis, le genre a été quasi exclusivement alimenté par des irrécupérables passionnés. C’est le cas de Mana Games, une monoentreprise de Romans-sur-Isère (Drôme), où depuis vingt ans, Emmanuel Rivoire développe presque seul la série Tennis Elbow. Sans la moindre communication, son opus 2013, le dernier en date, a touché environ 20 000 joueurs, une niche microscopique à l’échelle du marché du jeu vidéo, mais fidèle à son approche intransigeante du réalisme.
Développé presque seul par un habitant de la Drôme, « Tennis Elbow 2013 » était devenu, en dépit de son faible budget, un refuge pour les amateurs de jeux de tennis réalistes. / Mana-games
« Le tennis est un genre un peu spécial. C’est facile à faire quand on connaît très bien le sport, dans le cas inverse le moindre rebond sonne faux », relève Emmanuel Rivoire. Après une interruption pour raisons familiales, il travaille sur Tennis Elbow Manager 2 et un Tennis Elbow 4, qu’il se verrait bien livrer sur PC et consoles de salon aux alentours de 2020, « si la PlayStation 4 et la Xbox One sont encore là ».
Le pari d’un éditeur lillois
Dans ce contexte, AO International Tennis et Tennis World Tour s’apparentent à de réelles prises de risque – ce qui explique leurs budgets restreints et leur réalisation à l’économie. Les développeurs de Breakpoint Studio, l’entreprise derrière Tennis World Tour, sont d’ailleurs conscients d’avoir dû repartir à zéro. Avant d’en arriver à la qualité de Top Spin 4, « merveille d’horlogerie », expliquent au Monde Etienne Jacquemain, directeur artistique, et Romain Ginocchio, concepteur en chef, les responsables de Top Spin peaufinaient leur simulation depuis déjà dix ans. « Ce qui n’est pas possible à réitérer en deux ans », le temps de développement de Tennis World Tour.
Les animations très réalistes de « Top Spin 4 » ont été l’aboutissement de dix ans de développement. Pour le studio Breakpoint, « Tennis World Tour » n’est qu’un début. / Take Two
Le studio parisien voit plutôt Tennis World Tour comme une première étape. « Nous ne sommes pas sur un budget équivalent à Top Spin 4, mais on fait un pari sur le long terme », préviennent Etienne Jacquemain et Romain Ginocchio. Une stratégie courante pour les simulations sportives de niche, comme le cyclisme, le handball et le rugby. Elle permet, sans risques financiers inconsidérés, de monter graduellement en qualité, année après année.
Son éditeur français, Bigben Interactive, qui vient par ailleurs de racheter le studio francilien Cyanide (Pro Cycling Manager, Tour de France), entend bien désormais installer cette nouvelle franchise. Outre une présence dans la presse jeu vidéo et sportive, l’entreprise prévoit une campagne cinéma de deux semaines avec un film publicitaire avant chaque projection de Solo : A Star Wars Story, et une campagne télé durant la quinzaine de Roland-Garros dans 54 pays, ainsi qu’un tournoi e-sport, dont la . En tout, Bigben a parié sur une mise en place de 500 000 pièces au niveau mondial, le plus gros lancement pour cet éditeur lillois de taille modeste, encore novice sur le marché de la balle jaune. Service à suivre.