Emmanuel Dongala : « Philip Roth m’a sauvé de la guerre au Congo »
Emmanuel Dongala : « Philip Roth m’a sauvé de la guerre au Congo »
Par Séverine Kodjo-Grandvaux (contributrice Le Monde Afrique)
L’écrivain congolais raconte son amitié avec le romancier américain disparu le 22 mai et qui lui avait permis, en 1998, de se réfugier aux Etats-Unis.
Emmanuel Dongala est intarissable dès qu’il s’agit de se remémorer les bons moments passés en compagnie de Philip Roth, décédé mardi 22 mai. Les écrivains congolais et américain se sont rencontrés pour la première fois au début des années 1990. « Je rendais visite à la famille Huvelle, qui m’avait accueilli lorsque je faisais mes études à Oberlin College, dans l’Ohio. Philip était un patient et un ami du docteur Huvelle, qui me l’a présenté. Par la suite, à chacun de mes séjours aux Etats-Unis, je n’ai jamais manqué de revoir Philip Roth et sa femme d’alors, Claire Bloom », raconte Emmanuel Dongala.
C’est cette amitié qui le sauvera de la guerre civile congolaise, en 1997. A cette époque, l’auteur d’Un fusil dans la main, un poème dans la poche et du Feu des origines est directeur des affaires académiques et de la scolarité de l’université de Brazzaville, où il enseigne la chimie. Quand la guerre éclate, Emmanuel Dongala se tourne naturellement vers Paris, qui l’a fait chevalier des arts et des lettres en 1989, à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française. La France lui refuse finalement son visa et l’abandonne dans l’enfer congolais. C’est Philip Roth qui l’en sortira, lui et sa famille.
Une lettre à Bill Clinton
Dès qu’il apprend la situation, l’auteur de Good Bye, Columbus contacte Leon Botstein, le président du Bard College, qui cherchait un professeur de chimie pour le campus de Simon’s Rock, dans le Massachusetts, et n’a guère de mal à le convaincre de recruter Emmanuel Dongala. En 1990, Leon Botstein avait offert un poste à l’écrivain Chinua Achebe après qu’un accident de voiture dans des conditions suspectes au Nigeria l’avait cloué dans un fauteuil roulant pour le reste de son existence.
« Philip a tout fait pour que je puisse venir aux Etats-Unis. Il m’a trouvé un poste, obtenu un visa et des billets d’avion pour toute ma famille et moi-même. Mais je ne le savais pas. Pendant que nous fuyons les combats à Brazzaville, sur la route de Pointe-Noire, un colonel en fuite lui aussi me reconnaît et me dit qu’un de ses amis, qui travaille à l’ambassade des Etats-Unis, lui a confié qu’une université américaine m’a offert un poste et qu’on me cherche. J’ai regagné Brazzaville, puis Kinshasa en pirogue, où les Etats-Unis s’étaient installés après que leur ambassade de Brazzaville avait été brûlée, relate Emmanuel Dongala. Un matin de janvier 1998, j’atterris à New York, sous la neige et dans le froid. Devinez qui m’attend à côté du vice-président de l’université ? Philip Roth lui-même ! Le même qui, quelques jours plus tard, m’apportera une télé et une radio avec lecteur CD. »
« Mais ce n’est pas tout, poursuit, ému, l’écrivain congolais. Ma fille Assita avait alors 18 ans. Majeure, elle était considérée comme ne faisant plus partie de notre famille et elle n’a pu obtenir un visa pour venir avec nous. Elle pensait que nous l’avions abandonnée. Philip a repris sa plus belle plume et a écrit une lettre de recours auprès du président Bill Clinton. Quelques semaines plus tard, il n’avait pas de réponse mais il avait appris qu’un de ses amis, l’écrivain William Styron, devait dîner à la Maison Blanche. Il lui a donné une copie de la lettre pour qu’il la remette en main propre au président. Le lendemain, le bureau Afrique centrale du département d’Etat m’appelait et, quinze jours plus tard, ma fille était dans l’avion pour nous rejoindre. Un véritable conte de fées ! »
Clin d’œil dans « La Tache »
Ce n’était pas la première fois que Philip Roth témoignait son amitié à Emmanuel Dongala. Déjà en 1994, quand il avait reçu le prix Karel-Capek du PEN Club tchèque conjointement avec Günter Grass, Philip Roth, qui ne pouvait se déplacer pour des problèmes de santé, avait chargé Emmanuel Dongala de recevoir le prix en son nom et de prononcer son discours de remerciement. « Du coup, c’est moi qui me suis retrouvé sur la photo parue dans les journaux praguois, entre Günter Grass et Vaclav Havel. On en a longtemps rigolé avec Philip, qui me lançait : “Usurpation d’identité, Emmanuel !” En tant qu’écrivain, Philip Roth a pu laisser l’image d’un homme distant, cynique, un peu froid, mais au quotidien, c’était un tout autre homme, chaleureux, convivial. Il savait aussi être facétieux. Quand mon roman Les petits garçons naissent aussi des étoiles a été traduit en hébreu, il m’a dit, d’une voix solennelle : “Emmanuel Dongala, je te déclare juif honoraire” ! »
« Je lui dois beaucoup », reconnaît simplement celui qui s’amusait de voir la tête des étudiants de Bard College quand ils apercevaient l’auteur de Portnoy et son complexe descendre de sa voiture pour venir chercher leur professeur de chimie. « Il faisait la route depuis le Connecticut juste pour que nous allions déjeuner ensemble ! »
Une amitié qui aura laissé sa trace dans l’œuvre de chacun d’eux. Si Johnny chien méchant a pu voir le jour, c’est grâce aux conseils avisés et au soutien de l’auteur d’Opération Shylock. En effet, en 1999, Emmanuel Dongala a été récipiendaire d’un Guggenheim Fellowship grâce aux lettres de recommandation que lui ont écrites, entre autres, Philip Roth et Chinua Achebe, ses deux amis qui, chaque année, se retrouvaient, sans succès, sur la liste des nobélisables. Emmanuel Dongala a ainsi disposé du temps libre nécessaire à l’écriture de ce roman qui sera adapté au cinéma en 2008.
Quant à Philip Roth, il aura glissé un clin d’œil à celui avec qui il aimait converser et rire dans La Tache, publié en 2000. « Philip Roth y évoque un écrivain francophone d’Afrique, confie Emmanuel Dongala. Quand je lui ai demandé de qui il s’agissait, il m’a répondu amusé : “A ton avis ? Combien d’auteurs africains francophones penses-tu que je connaisse ?” »