Evacuation du camp de migrants du Millénaire : « Les campements ne sont pas constitués d’une majorité de primo-arrivants »
Evacuation du camp de migrants du Millénaire : « Les campements ne sont pas constitués d’une majorité de primo-arrivants »
Par Pierre Bouvier
Le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), revient sur le démantèlement du campement et les suites possibles.
Pendant le démantèlement du camp du Millénaire, à Paris. / GERARD JULIEN / AFP
Etabli en décembre 2017 sur les bords du bassin de la Villette (19e arrondissement), le campement du Millénaire, près de la porte d’Aubervilliers à Paris, a été évacué mercredi 30 mai au matin. Cette évacuation, la 35e organisée dans la capitale depuis trois ans, « conduira à l’hébergement temporaire des personnes concernées (…) puis à l’examen de la situation administrative de ces personnes », a déclaré le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, dans un communiqué.
Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), organisme chargé de l’intégration des migrants pendant les cinq premières années de leur présence en France, revient sur cette opération et ses suites.
Quel bilan tirez-vous du démantèlement du camp du Millénaire ?
Ce qui apparaît, c’est que la constitution des campements ne s’explique pas par la présence majoritaire de primo-arrivants, alors que tous les débats sur les campements portent là-dessus. C’est ce qu’atteste la présence importante dans les gymnases de personnes qui ont déjà le statut de réfugié ou qui sont déjà enregistrés comme demandeur d’asile.
Les moyens que des réfugiés – qui ont le même statut juridique que vous et moi – mettent en œuvre pour accéder à un hébergement sont donc de s’installer sur le trottoir pour être pris en charge. On voit apparaître un phénomène de précarisation des réfugiés qui peut aussi résulter de l’accélération des procédures.
La deuxième chose, mais c’est vrai pour des réfugiés comme pour des demandeurs d’asile, c’est qu’on a des personnes qui avaient déjà été prises en charge dans des structures d’hébergement qui les ont volontairement quittées. Manifestement, il y a l’attrait de Paris et de l’Ile-de-France et le sentiment qu’il vaut mieux être dans la grande ville, qu’être hébergé en région. C’est un phénomène qu’on avait déjà vu à Calais.
Enfin, ce qu’a révélé le faible nombre de personnes prises en charge par rapport à ce qui était estimé – 1 016 personnes ont été évacuées alors que de précédentes estimations faisaient état de 1 600 à 2 000 migrants présents sur le campement du Millénaire –, c’est qu’un certain nombre de personnes sont parties, soit parce qu’elles ont des enregistrements d’empreintes en Italie, soit parce qu’elles ont déjà été déboutées de leur demande d’asile dans un pays.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Il y a un processus qui relève directement de l’OFII : les personnes déjà en demande d’asile vont être réorientées soit là où elles étaient hébergées, soit vers de nouveaux hébergements ; celles qui ne sont pas encore enregistrées vont être accompagnées vers le lieu d’enregistrement de la demande d’asile, et après, orientées vers des hébergements du dispositif national d’accueil.
Là où l’OFII n’est pas compétent, c’est sur la question des réfugiés statutaires : il y a certes des centres provisoires d’hébergement qui existent, mais ils sont de courte durée, on y met les personnes en situation vulnérable, les familles, etc., mais sur la longue durée, on sent bien que le problème est l’articulation entre autonomie financière et logement.
Considérant qu’il manque près de 500 personnes, il est possible de voir d’autres campements se réinstaller ?
Ce jeu du chat et de la souris n’est pas nouveau. Puisqu’on avait déjà une difficulté à prendre en charge, dans le cadre des maraudes, une partie de ceux qui dorment sur le trottoir et qui refusaient de rejoindre les centres d’accueil mis en place par le préfet de région après la fermeture du centre de premier accueil de la porte de la Chapelle. Et là aussi, c’est un phénomène qu’on avait constaté au début du démantèlement de Calais, un refus de monter dans le bus pour l’orientation vers l’hébergement. C’est la difficulté de prendre en charge des gens qui sont pourtant dans une situation de détresse, mais qui ne veulent pas quitter certaines zones.
Mercredi 30 mai, après l’évacuation du camp du Millénaire, à Paris. / GERARD JULIEN / AFP
Le système d’accueil est-il perfectible ?
Oui, mais il ne faut pas se tromper sur la nature du problème qui est, aujourd’hui, plus en aval qu’en amont de l’enregistrement de la demande d’asile. En amont, c’est la capacité à accéder au guichet unique de demande d’asile, et ça, on est en train de le régler. Les délais sont considérablement réduits, et grâce à la plate-forme téléphonique mise en place par l’OFII en douze langues, on est à quatre jours pour l’accès au GUDA.
L’enjeu est plus la question de l’intégration de ceux qui ont déjà le statut de réfugiés : comment on les prend en charge, alors que théoriquement, sur le plan juridique, ils rentrent dans le droit commun ? Et, pour les demandeurs d’asile, comment on les stabilise dans les lieux d’accueil, dès lors qu’ils ne correspondent pas à ce qu’ils souhaitent, pour telle ou telle raison ?
La sanction, c’est normalement qu’on leur coupe l’allocation pour demandeurs d’asile, quand ils quittent les centres d’accueil, mais on voit là qu’il y a quelque chose à penser : peut-être au renforcement des mécanismes de prise en charge dans les structures d’accueil, pour éviter ce phénomène de départ.