Même s’il pourrait être renvoyé, dans l’attente d’une décision du Conseil constitutionnel, le procès, jeudi 31 mai, à Gap, de trois militants suisses et italien, poursuivis pour avoir aidé des migrants à entrer en France au lendemain d’une action d’extrême droite sur la frontière alpine, s’annonce très politique.

De nombreux supporteurs sont attendus dès 8 heures devant le palais de justice de Gap pour accueillir Eleonora Laterza, étudiante italienne de 27 ans, Bastien Stauffer, étudiant suisse de 26 ans et Théo Buckmaster, travailleur belgo-suisse de 23 ans et exiger leur « liberté » alors qu’ils sont soumis à un strict contrôle judiciaire, après dix jours de détention.

Mardi, ils ont reçu le soutien de plus de 120 personnalités du monde des arts, de la science et de la politique, qui ont signé une tribune lancée par Cédric Herrou. Cet agriculteur de la vallée de la Roya (Alpes-Maritimes) est devenu un symbole depuis sa condamnation en août pour son aide aux migrants. La fermeture de la frontière franco-italienne méridionale a poussé les réfugiés à remonter plus haut dans les Alpes.

« Aide à l’entrée irrégulière »

Les prévenus doivent répondre devant le tribunal correctionnel « d’aide à l’entrée irrégulière » d’étrangers avec comme circonstance aggravante d’avoir agi en « bande organisée », en l’occurrence lors d’une manifestation. Ils encourent un maximum de dix ans de prison, 750 000 euros d’amende et une interdiction du territoire français.

Le 22 avril, aux côtés d’une centaine de militants, ils avaient participé à une marche et franchi la frontière italo-française avec une vingtaine de migrants. Une action en réponse au « blocage » la veille du col de l’Echelle par plusieurs dizaines de membres de Génération identitaire pour empêcher l’entrée de migrants.

Jeudi, toutefois, les faits pourraient ne pas être abordés sur le fond : le parquet et la défense vont soulever une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur le « délit de solidarité » actuellement sur le bureau des « sages », qui ont jusqu’à début août pour se prononcer. Or ce délit est le fondement des poursuites. « Nous avons tous intérêt à avoir un peu de sécurité juridique sur ces sujets épidermiques », a estimé Me Philippe Chaudon, avocat d’Eleonora.

Le seul débat à l’audience devrait donc porter sur le maintien ou la modification du contrôle judiciaire des trois prévenus, offrant à Me Henri Leclerc, ancien président de la Ligue des droits de l’homme, l’occasion de plaider. Les avocats espèrent une issue favorable pour leurs clients « dont la vie est suspendue depuis plus d’un mois », a déclaré Me Yassinne Djermoune, conseil de Théo. Ce dernier est attendu par un employeur en Suisse, tandis que Bastien doit passer des examens d’économie à l’université de Genève et Eleonora, d’histoire politique à l’université de Turin.

« Procès inversé »

A l’extérieur du tribunal, les militants feront « une sorte de procès inversé » pour « mettre en accusation l’État et la politique migratoire du gouvernement » à travers des prises de parole, car un renvoi « ne change rien sur le fond », assure Michel Rousseau, du collectif local Tous Migrants. Récemment, « il y a eu trois morts. C’est terrible ; ça éclaire le côté surréaliste de ce procès », a ajouté le bénévole briançonnais.

Le 9 mai, une Nigériane de 31 ans était retrouvée noyée dans la Durance, après avoir tenté peut-être d’échapper à la police. Les 18 mai et 25 mai, les corps d’un jeune Sénégalais et d’un homme noir non identifié étaient découverts, le premier dans un bois près de Montgenèvre, le second côté italien.

Dans ce contexte, la naturalisation du sans-papier malien qui a sauvé un enfant à Paris, annoncée lundi par le président Emmanuel Macron, est perçue comme « l’arbre qui cache la forêt ». « Un Noir qui sauve un Blanc mérite des éloges. Un Blanc qui sauve un Noir mérite la prison », a résumé un exilé camerounais de 23 ans.