Un « risque d’accaparement des terres agricoles » en France
Un « risque d’accaparement des terres agricoles » en France
Par Laurence Girard
En 2017, 381 000 hectares ont changé de mains, selon le bilan des marchés fonciers ruraux publié jeudi 31 mai par la FNSafer, qui dénonce une « tendance à l’agglomération de grandes surfaces au sein d’un nombre limité d’exploitations ».
Un champ de colza près de Lyon (Rhône), le 18 avril 2018. / JEFF PACHOUD / AFP
Les terres agricoles françaises sont très convoitées. Les récents exemples illustrant la pression sur ce patrimoine nourricier ont marqué les esprits. Que ce soit la bataille autour du projet Europacity, prévoyant la transformation 280 hectares de terres agricoles du Triangle de Gonesse (Val-d’Oise) en un complexe commercial et touristique. Ou la prise de contrôle de 1 700 hectares de terres céréalières berrichonnes par une société chinoise. Suivie par l’achat de deux sociétés agricoles dans l’Allier par un entrepreneur pékinois. Ou encore le grappillage de plus de 140 châteaux dans le vignoble bordelais par des investisseurs de l’ancien empire du Milieu.
Les ventes de surfaces ont atteint un niveau record
Le bilan 2017 des marchés fonciers ruraux, publié jeudi 31 mai par la Fédération nationale des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (FNSafer), le prouve. Sur l’année écoulée, les ventes de surfaces ont atteint un niveau record. Le nombre de transactions progresse de 7,6 %, à 86 260, pour un montant qui bondit, lui, de 15,5 %, à 4,6 milliards d’euros. Au total, 381 000 hectares ont changé de mains.
Mais dans quelles mains sont-ils passés ? Depuis l’entrée en vigueur de la loi d’avenir pour l’agriculture, en 2016, les projets de vente de parts sociales ou d’actions de sociétés agricoles doivent être portés à la connaissance des Safer. Des transactions qui échappaient jusqu’alors à ses radars, alors même que les formes sociétaires ne cessent de se développer. Que ce soient des sociétés de portage du foncier (GFA, SCI agricoles, etc.), d’exploitation agricole (GAEC, EARL, SCEA, SA ou SARL) ou de groupement forestier.
En 2017, 6 900 projets de cession de parts sociales ou d’actions de sociétés agricoles ont été notifiés aux Safer. Ils représentent un volume de vente de 1,3 milliard d’euros. Et pèsent près de 20 % du marché du foncier agricole. A priori, les achats bouclés par les étrangers sont peu importants. Ils sont évalués à 122 millions d’euros et sont essentiellement le fait d’Européens. Toutefois, ces montants ne prennent pas en compte les achats faits par des sociétés immatriculées en France, mais dont le capital pourrait être détenu par des étrangers.
« La vitalité des territoires est en péril »
« Ces chiffres prouvent la réalité de la financiarisation et du risque d’accaparement des terres », affirme Emmanuel Hyest, président de la FNSafer, qui tire la sonnette d’alarme. « La vitalité des territoires est en péril », estime l’organisme. « La tendance à l’agglomération de grandes surfaces au sein d’un nombre limité d’exploitations agricoles se développe. Cette concentration est préjudiciable aux transmissions, aux installations et à la consolidation des exploitations. Elle s’accompagne souvent d’une diminution de la valeur ajoutée et de l’emploi. »
La question de la pérennité du modèle d’agriculture familiale, marque de fabrique française, et de la préservation des paysages se pose. D’autant plus que le renouvellement des générations sera l’un des grands enjeux des dix prochaines années.
Un marché non régulé
Or, comme le rappelle la FNSafer, ce 1,3 milliard d’euros de ventes de parts sociales et d’actions est un marché non régulé. Une partie du texte introduit dans la loi Sapin 2 de 2016, sous l’impulsion de Dominique Potier, député PS de Meurthe-et-Moselle, pour accroître la transparence sur ce marché et renforcer le pouvoir de régulation de la FNSafer, a été retoqué par le Conseil d’Etat. M. Hyest, qui prône un renforcement législatif, met en exergue une des failles du dispositif actuel : « Il suffit pour les investisseurs de racheter 99 % des parts d’une société agricole et de laisser 1 % à l’ancien exploitant pour éviter que la Safer puisse faire jouer son droit de préemption. »
Le président Emmanuel Macron a promis une loi sur le foncier agricole début 2019. Une mission d’information de l’Assemblée nationale, présidée par le député LRM des Hautes-Pyrénées Jean-Bernard Sempastous, et dont les deux rapporteurs sont M. Potier et Anne-Laurence Petel (LRM), élue des Bouches-du-Rhône, planche sur le sujet. Leurs conclusions doivent être présentées à la fin de l’été.