Les joueurs castrais après leur victoire sur le Racing 92 en demi-finales, à Lyon, samedi 26 mai. / JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

On ignore si le tribun socialiste avait une équipe de rugby favorite. Le Centre national et Musée Jean-Jaurès veut, en tout cas, célébrer le club de sa ville natale, le Castres olympique (CO). Prévue de longue date, son exposition sur « plus d’un siècle de rugby » ouvrira le 8 juin. Soit une semaine après la finale du championnat de France que les Castrais s’apprêtent à disputer à Saint-Denis, samedi 2 juin (à partir de 21 heures), contre Montpellier.

Déjà doté de quatre titres nationaux (1949, 1950, 1993, 2013), le club du Tarn se présente aujourd’hui comme le porte-voix d’une espèce menacée au plus haut niveau : le « rugby des sous-préfectures », selon l’expression volontiers attendrissante de son président, Pierre-Yves Revol. Presque une incongruité dans ce championnat professionnel, désormais peuplé de métropoles.

Toujours dans l’attente d’une autoroute qui la relierait à Toulouse, Castres compte près de 42 000 habitants : l’une des plus petites populations municipales du championnat de France avec Brive, Oyonnax (tous deux relégués) et Agen. L’un des plus petits budgets, aussi : le onzième du Top 14 cette saison avec 21 millions d’euros… devant exactement les mêmes, Brive, Oyonnax et Agen.

Le Castres olympique a pourtant un atout pérenne, un puissant remontant dont bien des clubs rêveraient. Les laboratoires Pierre-Fabre lui apportent leur soutien depuis la saison 1988-1989. Or, si elle a conservé la majeure partie de sa production en France, l’entreprise dépasse largement le cadre de la sous-préfecture : troisième labo pharmaceutique du pays et deuxième groupe dermocosmétique dans le monde, d’après son site Internet.

Le « para » Gérard Cholley

Ce soutien financier perdure malgré la disparition de Pierre Fabre, le pharmacien mécène. Le Castrais est mort en juillet 2013, un mois après le quatrième sacre en championnat, à l’âge de 87 ans. « Pierre Fabre nous a demandé d’essayer de préserver l’indépendance de l’entreprise et son implantation régionale, d’investir dans la recherche et de rester une entreprise aussi citoyenne que possible », énumère Pierre-Yves Revol, désormais président du groupe et du club.

Deux ans plus tard, en 2015, des syndicats ont défilé dans les rues de Castres pour protester contre des licenciements : l’entreprise d’environ 13 000 employés a supprimé 551 postes dans le domaine pharmaceutique, jugé moins rentable que celui de la cosmétologie. Sans que cela affecte les investissements dans le club de rugby, fierté locale. Ces derniers restent « stables depuis cinq ans », souligne M. Revol, qui refuse, cependant, d’en préciser le montant.

L’entraîneur de Castres, Christophe Urios, est lui aussi passé par les laboratoires Pierre-Fabre, principal sponsor du finaliste du Top 14 2018. / RÉMY GABALDA / AFP

Le dirigeant évoque, comme gains complémentaires, l’arrivée d’autres sponsors moins locaux (Bigard et Matmut) et la construction de loges dans le stade Pierre-Fabre. Rebaptisée ainsi en 2017, l’enceinte portait jusqu’alors le nom de Jean Pierre-Antoine, héros des premiers titres de 1949 et 1950. En théorie, ses tribunes peuvent accueillir un peu plus du quart des habitants : 12 500 places.

« Le club est étroitement lié à l’activité de la ville, rappelle Jean-Baptiste Alba, directeur du Centre national et Musée Jean-Jaurès. Au début du XXe siècle, la ville vivait de son industrie textile et les maillots sortaient des usines locales. Ensuite, les laboratoires Pierre-Fabre ont capté toute la main-d’œuvre laissée de côté. » A partir de la décennie 1960, le 8e régiment de parachutistes d’infanterie s’établit aussi dans les parages. L’ancien pilier Gérard Cholley (1965-1980), venu d’abord comme « para », en incarne l’un des exemples les plus massifs.

Un entraîneur passé par les usines Fabre

Un autre costaud, Christophe Urios, souligne également cet « enracinement dans le territoire ». Avant d’être l’actuel entraîneur de Castres, l’homme en a été le talonneur dès 1990. En ce temps-là, le CO avait un solide argument pour attirer les joueurs encore amateurs : la garantie d’un emploi dans les labos pharmaceutiques de Pierre Fabre en parallèle du rugby.

Quoique titulaire d’un BTS de viticulture et d’œnologie, Christophe Urios a d’abord travaillé dans « la comptabilité, puis la gestion » du groupe. Sans trop de succès. Puis il s’est « régalé » comme responsable de « la coordination des nouveaux produits cosmétiques », dans l’usine tarnaise de Soual. « Moi, je venais de Carcassonne. J’avais plusieurs options, des possibilités pour aller à Béziers, Narbonne, Perpignan. Mais j’ai choisi Castres, le club qui me proposait un double projet. »

De cette période, l’ancien joueur garde le souvenir de semaines intenses où s’empilaient les heures aux labos et sur le terrain d’entraînement. « Suivre un plan de fabrication avec des objectifs m’a beaucoup inspiré dans mon métier d’entraîneur, dans mon suivi des joueurs. » Prochaine étape samedi soir, dans la gigantesque usine du Stade de France, sur la pelouse de Saint-Denis.