La chancelière allemande Angela Merkel, au sommet du PPE, à Munich, le 6 juin. / MICHAELA REHLE / REUTERS

Avec trois à quatre mois d’avance sur les pronostics, Angela Merkel est entrée de plain-pied dans la campagne pour les élections européennes. Après une interview fleuve dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung le week-end dernier, où elle répondait point par point aux propositions de réforme du président Macron, la chancelière a frappé à nouveau fort, mercredi 6 juin, en livrant un discours en forme de programme devant sa « famille » du parti populaire européen (PPE), le parti des droites européennes, réuni à Munich le temps d’un sommet.

Tirant de manière inhabituellement imagée (voire presque lyrique à certains instants) le bilan des bouleversements géopolitiques actuels (l’« époque où l’Europe pouvait compter sur les autres est révolue », « un nouvel ordre mondial émerge »), la chancelière allemande a exposé ses cinq priorités pour l’Europe, et fait quelques propositions inédites.

Livre blanc sur la sécurité européenne

Priorité des priorités pour Angela Merkel : la sécurité et la défense. Elle avait déjà annoncé dans son interview au FAZ sa volonté que l’Allemagne, jusqu’alors très réticente pour des raisons historiques, ne se contente plus de contribuer à la sécurité européenne commune en envoyant du matériel, mais envoie des « unités d’intervention » sur les théâtres d’opérations. Elle a aussi réclamé « en urgence », un livre blanc sur la sécurité européenne, pour mesurer au plus près le niveau des menaces pesant sur l’Union européenne (UE).

Autre suggestion : que les sièges non permanents au Conseil de sécurité de l’ONU soient « européanisés » : « l’Europe doit trouver un moyen d’européaniser les sièges non permanents au Conseil de sécurité de l’ONU, afin de parvenir à une position cohérente avec les Etats disposant d’un siège permanent. » Mme Merkel a évoqué la « création d’un groupe de dix Etats membres », ajoutant qu’ils devraient faire partie des discussions à l’ONU « en continu » auprès des autres pays de l’Union, afin qu’un conseil des ministres européens des affaires étrangères puisse être convoqué bien plus rapidement.

Agence commune pour la répartition des réfugiés

Deuxième priorité : sans surprise, la migration, un sujet sur lequel l’Union reste complètement divisée. La chancelière a réitéré sa proposition d’une agence commune pour coordonner la répartition des réfugiés dans l’UE. « Nous ne pouvons pas accepter que certains pays assument la majorité des arrivées », a souligné Mme Merkel, faisant référence à l’Italie et à la Grèce.

Migrants : « L’Europe n’a pas été solidaire de l’Italie et de la Grèce »
Durée : 03:38

L’Europe n’investit pas suffisamment dans le numérique et la recherche et développement, troisième priorité de Mme Merkel : « L’ambition des années 2000 de consacrer 3 % du produit intérieur brut européen à la R&D n’est plus suffisant », a estimé la chancelière, qui a aussi réclamé que « l’on réforme la politique européenne de la concurrence », qui ne favoriserait pas assez l’émergence de « champions globaux ».

Elle a aussi réitéré sa volonté que le budget européen post-Brexit (pour la période 2021-2027) soit adopté « avant les élections européennes ». Il faut que l’argent pour les nouvelles priorités de l’Union soit prêt dès 2021, a-t-elle expliqué, ajoutant qu’on « ne pourra parler » de son idée d’un budget de la zone euro « qu’après qu’on aura un budget pour l’Union ». Une manière de renvoyer la demande de Macron d’un budget de la zone euro aux calendes grecques ?

Dernière priorité : la jeunesse et la culture. Angela Merkel, devant un parterre d’élus bavarois, tous affiliés à la très conservatrice et catholique CSU, a insisté sur la nécessité des « collaborations entre l’Etat et les instances religieuses », mais aussi proposé une « formation européenne pour les imams » .

Inconfortable tête-à-tête

Ovationnée debout, la chancelière a manifestement parlé au cœur des élus PPE, dont une majorité d’Allemands, mais aussi une grosse délégation d’Espagnols, d’Irlandais et d’eurodéputés de l’est, ces derniers constituant désormais le gros des troupes du premier parti politique à Bruxelles. Aurait-elle tenu le même discours face à Viktor Orban, premier ministre hongrois, membre du PPE mais frontalement opposé à la politique d’accueil des migrants menée par la chancelière entre 2015 et 2016 ? Pas sûr.

Pour la chancelière, l’enjeu était d’ailleurs, mercredi à Munich, d’occuper le terrain médiatique et programmatique, alors que le PPE, affaibli, menace d’être doublé sur sa droite l’an prochain aux européennes, par une coalition de partis populistes. Mme Merkel reste incontestablement la patronne de ce parti paneuropéen, mais les partis de droite classiques nationaux le composant sont si affaiblis qu’elle se retrouve désormais, après l’éviction surprise du premier ministre espagnol Mariano Rajoy, dans un tête-à-tête très inconfortable avec M. Orban, aux prises de position ouvertement xénophobes.