Samedi 2 juin 2019, les étudiants des collèges d’Homerton à Cambridge et Harris Manchester à Oxford ont présenté leurs travaux de recherche dans le cadre du « Graduate Research Day », la journée de promotion de la recherche des étudiants en master et en thèse. / Pierre-Yves Anglès

Chronique britannique. Diplômé de Sciences Po et étudiant en master de littérature à l’Ecole normale supérieure et en Sorbonne, Pierre-Yves Anglès raconte son semestre à l’université de Cambridge en Angleterre.

Samedi dernier, mon collège de l’université de Cambridge – Homerton – organisait son Graduate Research Day, la journée de promotion de la recherche des étudiants en master et en thèse. L’événement était d’autant plus attendu qu’il fait partie des célébrations qui se déroulent toute l’année pour l’anniversaire des 250 ans d’Homerton. Des étudiants de notre collège, jumelé à Oxford – Harris Manchester –, avaient fait le déplacement. J’ai ainsi découvert que l’essentiel des collèges de Cambridge ont des jumelages avec ceux d’Oxford, pour entretenir l’histoire qui lie ces universités et faciliter les échanges de professeurs notamment. Cela permet de relativiser la rivalité mythique entre les deux universités.

Sortir des biblis et des labos

Au sujet d’Harris Manchester, notre collège jumelé, un de ses anciens étudiants, Torben Woehler, m’expliquait qu’il s’agit du plus petit collège d’Oxford, réservé aux étudiants dits « matures », ceux qui ont plus de 21 ans. Nombre d’entre eux reprennent effectivement des études après avoir travaillé, ce qui n’est pas rare au Royaume-Uni. « Etudier à Harris Manchester ne signifie pas seulement apprendre de ses tuteurs et ses professeurs, mais aussi de ses camarades et de leurs expériences », insiste Torben. Cette journée de célébration de la recherche à Homerton avait le même objectif : apprendre des autres et découvrir que ceux que l’on croise généralement autour d’un verre excellent dans des domaines qui vont de l’étude des jeux vidéo à la neuroscience, en passant par les relations internationales. Alors que la recherche est souvent assez solitaire, c’est l’occasion de la sortir des biblis et des labos.

Melanie Keene, professeure et responsable des étudiants-chercheurs à Homerton, organisait cette journée. « C’est essentiel de créer des opportunités pour que les chercheurs se rencontrent », assure-t-elle. Ce type d’initiative n’est pas rare à Cambridge. Ma faculté de lettres a récemment organisé une journée d’étude où de nombreux étudiants intervenaient. La spécificité des collèges réside néanmoins dans le fait que toutes les disciplines s’y côtoient et qu’elles peuvent s’influencer à loisir. Chacun s’inspire du voisin ou interroge ses travaux avec les outils critiques dont il dispose.

Déconstruire le jargon de la recherche

Ce Graduate Research Day est aussi l’occasion pour de futurs professeurs ou personnalités publiques de présenter leurs travaux et de prendre la parole devant une audience restreinte et bienveillante, Homerton s’étant notamment auto-déclaré le collège le plus amical et le plus accueillant de Cambridge. Selon Alice White, chercheuse en neuroscience, il s’agit aussi de démystifier la recherche et de déconstruire son jargon. Alice a ainsi produit un exposé sur la maladie de Huntington, et être compris par des néophytes n’est pas le moindre des défis.

Cette présentation m’a rappelé une discussion avec une camarade qui m’avait fait une leçon de « finance internationale pour les nuls ». Même si je ne saurais intégrer rapidement les subtilités de la finance, cela m’avait démontré combien chaque discipline tend à se cacher derrière son jargon, voire s’y retrancher lorsqu’il s’agit d’éviter des régulations ou l’interférence d’autres secteurs. La finance, les industries numériques et le droit sont particulièrement friands de ces barbarismes qui nous laissent penser qu’ils sont abscons, voire intouchables. Vulgariser la recherche est alors un vecteur de réflexion propice à l’engagement.

Réfléchir à l’état du monde

Ce Graduate Research Day est d’autant plus apprécié qu’il répond à une culture de la recherche à Cambridge, et au Royaume-Uni, bien plus enthousiaste qu’en France, surtout lorsqu’on parle de recherche en lettres ou en sciences sociales. Le fait que Cambridge soit un immense incubateur, une bulle relativement isolée de la société, participe à cette « recherche décomplexée », loin des métropoles et volontiers anachronique. Ici, on travaille sur toutes les époques et tous les sujets. Personne ne s’étonne que je compare les récits de formation de Simone de Beauvoir et Patti Smith dans mon mémoire. Personne n’interroge la légitimité d’un travail de recherche, ce qui revient généralement à évaluer sa monétarisation potentielle dans une logique matérialiste qui ne dit pas son nom. Cette approche utilitariste nuit à la recherche fondamentale qui n’a par définition pas de visée économique.

Samedi 2 juin 2019, au collège  Homerton de l’université de Cambridge, Sarah Streyder – étudiante originaire de San Francisco – présente son plan de réforme du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, lors du Graduate Research Day. / Pierre-Yves Anglès

Cambridge demeure pourtant l’une des universités les plus créatives au monde et permet de générer des profits. Que chacun se rassure. Elle permet aussi de réfléchir à l’état du monde, à sa moralisation et à la conservation de ses cultures. La recherche et les universités sont aussi garantes des civilisations et de leur compréhension. Les réduire à des logiques marchandes serait alors désastreux. L’argent privé n’est pas pour autant tabou au Royaume-Uni et il ne nuit certainement pas à la neutralité de tous les travaux de recherche. Melanie m’a ainsi informé qu’un étudiant en pédagogie et en littérature pour enfants bénéficiait d’une bourse par l’entreprise Lego. On ne parle pas d’un cigarettier qui financerait une thèse en pneumologie.

Scepticisme français

La place de choix faite à la recherche découle directement de son bon financement, public et privé, et de la valorisation sociale des professeurs-chercheurs au Royaume-Uni que l’on caricature trop souvent comme d’obscurs intellos vivant sur les deniers publics en France. L’université et les collèges de Cambridge sont aussi majoritairement administrés par des universitaires, qui sont correctement rétribués et ne le vivent donc pas comme une corvée.

Les chercheurs sont très employables au Royaume-Uni où posséder une thèse est valorisé, y compris dans les disciplines non scientifiques. Ne serait-ce qu’au niveau licence, avoir fait de la psychologie ou des lettres ne vous condamne pas à des sourires embarrassés d’employeurs. Cela pose la question de l’accessibilité financière aux meilleures universités, mais, au Royaume-Uni, le label académique prime souvent sur la discipline du diplôme. Vous pourrez donc travailler dans la banque après une licence en musicologie. Ce n’est évidemment pas le plus courant, mais le scepticisme quant à la recherche et l’obsession maniaque d’une adéquation « formation – emploi » sont moins répandus de ce côté de la Manche.