A Epinay-sur-Seine, des lycéens sans papiers seront-ils privés de bac ?
A Epinay-sur-Seine, des lycéens sans papiers seront-ils privés de bac ?
Par Mattea Battaglia
A dix jours des épreuves, deux jeunes, originaires d’Algérie et du Congo, sont dans une « impasse administrative ». Leurs enseignants appellent à la mobilisation jeudi.
Ils se sont préparés au baccalauréat « avec sérieux », disent leurs enseignants du lycée Feyder d’Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) – un bac S pour Julio, un bac « sciences et technologies de la santé et du social », plus connu sous l’acronyme ST2S, pour Elya (les prénoms ont été modifiés). Ils ont aussi validé leurs vœux d’orientation sur Parcoursup sans difficulté : lui se projette déjà en licence de sciences de l’ingénierie ; elle hésite encore entre un BTS et un DUT d’imagerie médicale.
Et pourtant, ces deux lycéens de 20 ans, l’un arrivé d’Algérie il y a quatre ans, l’autre du Congo peu après, se retrouvent, à dix jours du coup d’envoi des épreuves du baccalauréat, « dans une impasse administrative » martèlent leurs professeurs qui ont appelé, jeudi 7 juin, à se mobiliser pour que la préfecture de la Seine-Saint-Denis accepte d’enregistrer leur demande de régularisation.
« Sans papiers, en dépit de leur parcours scolaire exemplaire, ils ne peuvent ni valider leur inscription dans l’enseignement supérieur, ni même faire une demande de bourse ou s’inscrire au CROUS, témoigne Ségolène Dargnies, qui compte parmi la trentaine d’enseignants mobilisés. Stoppez net à mi-parcours, ils vivent une situation en totale contradiction avec leur quotidien de lycéens méritants », fait valoir cette enseignante de lettres.
N’entrent pas dans le cadre
Contrairement à d’autres jeunes majeurs sans papiers, Julio et Elya n’ont pas reçu d’obligation de quitter le territoire français (une « OQTF », dans le jargon administratif). Mais leur rendez-vous en préfecture « n’a abouti… à rien », s’indigne Gérald Ascargorta, militant du réseau RESF qui les a accompagnés. Pour Elya, c’était en février. Pour Julio, ce 1er juin.
Pour pouvoir enregistrer leur dossier de régularisation, la préfecture exige une arrivée en France avant 16 ans et trois années de scolarisation à 18 ans, explique ce militant. Julio et Elya n’entrent pas dans ce cadre.
« La personne qui a reçu Julio vendredi a bien essayé de le faire rentrer dans les cases… mais ça n’a pas fonctionné, son chef l’a bloquée », avance M. Ascargorta, qui dit recevoir de plus en plus de demande d’accompagnement de la part de jeunes étrangers en demande de visa étudiants. « L’administration est dans son droit, dit-il, mais il y a encore un an, des dossiers similaires étaient enregistrés. Faut-il être aussi rigide ? ».
« Il s’est donné les moyens »
La famille de Julio – ses parents, ses frères et sœurs – est en situation régulière ou en voie de l’être. Elya vit quant à elle avec son père et la famille qu’il a fondée en France. Sa mère étant
restée « au pays », les enseignants craignent que cela ne « joue contre elle ».
La jeune fille rêve d’intégrer une école d’infirmière mais elle n’a pas pu présenter le concours sans titre de séjour. Le garçon se verrait bien ingénieur aéronautique et, à écouter son ancien professeur d’histoire-géographie, Raphaël Delarge, « il s’est donné les moyens pour ».
« Je l’ai eu comme élève lorsqu’il a redoublé sa seconde, raconte-t-il. Il trouvait cela injuste vu les efforts qu’il avait fait pour s’intégrer, mais c’est pour moi l’exemple même d’un redoublement réussi ; ça lui a permis d’accéder à la filière scientifique. C’est un jeune vraiment brillant. »
A la préfecture, on lui a conseillé de rentrer en Algérie et d’y déposer une demande de visa étudiant. « Mais c’est quasi impossible d’en obtenir un, fait valoir Gerald Ascargorta. Et puis Julio n’y a plus aucun parent et s’il y retournait, à 20 ans, il risquerait d’être enrôlé pour le service militaire. »
« On est bloqué »
Ces jeunes gens sont-ils menacés d’expulsion pour autant ? Certains enseignants la jugent « imminente », d’autres redoutent plutôt une assignation en résidence, ou un placement en centre de rétention s’il venait à être contrôlé sans papiers. « Le paradoxe, c’est que si on avait pu déposer un dossier en préfecture, ils auraient probablement reçu une OQTF, mais on aurait eu de quoi argumenter et déposer un recours au tribunal administratif. Là, on est bloqué », reprend-on chez RESF.
En préfecture, Julio se serait entendu dire qu’avec cinq années de présence en France – dans un an, donc –, un contrat de travail ou un contrat de mariage, son dossier pourrait être pris en compte, alors qu’il revendique le statut qui est le sien : celui de lycéen et bientôt d’étudiant.
Le 1er juin, sur les cinq dossiers soutenus par RESF et présentés à la préfecture de Seine-Saint-Denis, deux (dont celui de Julio) ont été refusés, trois acceptés.