Face à l’épidémie d’Ebola, la question des traitements expérimentaux
Face à l’épidémie d’Ebola, la question des traitements expérimentaux
Par Eric D'Ortenzio et Yazdan Yazdanpanah
La RDC connaît une épidémie causée par le virus Ebola. L’urgence de la situation a poussé les scientifiques à proposer des médicaments même non homologués.
Des agents de santé dans le centre d’Iyonda, près de Mbandaka, le 1er juin 2018. / JUNIOR D. KANNAH / AFP
Ebola, Lassa, Zika, Nipah, peste : ces noms effraient, à juste titre. L’émergence – ou la réémergence – de ces pathogènes infectieux menace nos sociétés. Plus encore dans les pays du Sud, où les populations sont plus vulnérables. Ils peuvent entraîner des crises sanitaires à l’échelle d’un pays ou de la planète.
La répétition des épidémies interpelle aujourd’hui les Etats, les organisations régionales et internationales, les agences sanitaires, les organisations non gouvernementales (ONG) et l’industrie pharmaceutique. Il n’existe que très peu de vaccins préventifs, et pas beaucoup plus de traitements curatifs. La plupart de ces pathogènes sont hautement virulents, entraînant une mortalité élevée – de l’ordre de 50 % pour Ebola. Le besoin crucial de vaccins et de traitements appelle de nouvelles réponses, à hauteur des défis à relever dans l’urgence d’une épidémie.
Un mois s’est écoulé depuis qu’une nouvelle épidémie d’Ebola s’est déclarée en République démocratique du Congo (RDC) dans le district sanitaire de Bikoro (province d’Equateur), à 600 km de la capitale Kinshasa. Elle s’est ensuite propagée à la ville de Mbandaka, peuplée de 1,2 million d’habitants, ainsi que dans d’autres villages très isolés de la même province. Le dernier bilan, le 3 juin, faisait état de 53 cas, dont 25 décès dans trois districts sanitaires (Bikoro, Iboko et Wangata). L’évolution de l’épidémie est encore très incertaine, aussi bien en zone urbaine qu’en zone rurale. L’issue dépendra de l’efficacité des différentes interventions.
Une vaccination en anneau
Pour lutter contre cette nouvelle épidémie d’Ebola, une des interventions proposées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et les autorités sanitaires de la RDC, en collaboration avec Médecins sans frontières, est la mise en place d’une stratégie reposant sur un vaccin dit expérimental, qui n’est pas encore homologué. En conséquence, celui-ci est déployé dans le cadre d’un « accès élargi » impliquant le consentement éclairé des personnes et la conformité avec les bonnes pratiques cliniques.
La vaccination est pratiquée en anneau. Le vaccin est d’abord proposé aux contacts des cas confirmés, soit le premier anneau autour de chaque cas. Il est aussi proposé aux contacts de ces contacts, soit le deuxième anneau. Viennent s’ajouter les soignants et les travailleurs en lien avec l’épidémie. Depuis le lancement de la vaccination le 21 mai (soit treize jours après la déclaration de l’épidémie), 1 112 personnes ont été vaccinées selon le ministère de la santé de RDC.
L’efficacité clinique de ce vaccin, appelé rVSVG-ZEBOV-GP, avait pu être évaluée chez l’homme à large échelle par l’OMS en 2015 pendant l’épidémie d’Ebola en Guinée, comme rapporté dans la revue The Lancet. Ce vaccin est constitué du virus de la stomatite vésiculeuse (VSV), un virus animal causant des syndromes de type grippal chez les humains. Le VSV a été génétiquement modifié pour contenir une protéine du virus Ebola Zaïre, de sorte qu’il est capable de provoquer une réponse immunitaire contre le virus Ebola.
Réunir de nouvelles données
La tolérance de ce vaccin chez l’adulte et les enfants de plus de 6 ans a été jugée bonne – plus de 16 000 volontaires ont reçu ce vaccin dans le cadre d’essais cliniques à ce jour. Il a été considéré par les responsables de l’étude comme protecteur de la maladie après l’exposition au virus chez l’adulte.
Néanmoins, son efficacité clinique dans certains groupes de population comme les enfants en bas âge (moins de 6 ans), les femmes enceintes, les personnes immunodéprimées (par exemple celles vivant avec le VIH), n’est pas encore bien connue. Par ailleurs, la vitesse à laquelle sont produits les anticorps et leur durée de persistance dans l’organisme sont en cours d’étude, de même que la tolérance chez les petits enfants.
Un essai clinique baptisé Prevac se déroule actuellement en Afrique de l’Ouest. Promu notamment par l’Inserm en Guinée, il devrait permettre de répondre en grande partie à ces questions. L’utilisation de ce vaccin pendant l’épidémie en cours en RDC va également permettre de réunir de nouvelles données sur sa tolérance et son efficacité à prévenir la maladie.
En plus du vaccin, l’OMS a annoncé que des traitements expérimentaux contre Ebola pourraient bientôt être administrés à des malades en RDC. Il s’agit de molécules antivirales et d’anticorps monoclonaux (ZMapp, Remdesivir GS-5734, REGN3470-3471-3479, Favipiravir et mAb 114) encore non homologués.
Diminuer l’expansion de l’agent infectieux
Les anticorps monoclonaux agissent en ciblant une protéine présente à la surface du virus Ebola. En se fixant au virus présent dans l’organisme des patients infectés, ils empêchent l’infection de nouvelles cellules. Les chercheurs supposent que ces anticorps, s’ils sont administrés au plus vite, diminuent l’expansion de l’agent infectieux, laissant ainsi un délai au système immunitaire du patient pour produire une réponse efficace.
Ces traitements sont disponibles. Pour l’instant, ils ont démontré leur efficacité in vitro (c’est-à-dire dans un milieu artificiel comme une éprouvette) ou sur des modèles animaux. Trois d’entre eux (ZMapp, Remdesivir GS-5734, Favipiravir) ont cependant été administrés à des patients lors de la précédente épidémie en Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2016, dans le cadre d’essais cliniques ou à usage compassionnel (c’est-à-dire pour des malades qui n’ont aucun autre recours et pas non plus le temps d’attendre la fin des essais cliniques et du processus d’autorisation). De telles molécules ont également été administrées, toujours à titre compassionnel, à des soignants occidentaux comme, en 2014, une infirmière écossaise et un médecin américain, tous deux rapatriés depuis la Sierra Leone dans leur pays d’origine.
Pour ces traitements non homologués, tout comme le vaccin, l’OMS propose que l’utilisation se fasse dans le cadre d’une surveillance rapprochée ou MEURI (Monitored Emergency Use of Unregistered Interventions) avec le consentement des patients, ou encore dans le cadre d’essais cliniques. L’institution des Nations unies a annoncé que, dans ce contexte épidémique, ces traitements seront administrés à tous les malades et ne seront pas comparés à un placebo. Cependant, des comparaisons d’efficacité entre plusieurs molécules ou association de molécules resteraient possibles, même dans de telles circonstances.
Des essais cliniques d’envergure
Cette nouvelle approche utilisant des thérapeutiques expérimentales pour répondre à une urgence sanitaire a fait la preuve de sa faisabilité lors de l’épidémie d’Ebola qui a sévi en Afrique de l’Ouest de 2013 à 2016, causant 11 000 morts sur 28 000 cas. Cet épisode, dramatique, a dans le même temps considérablement accéléré la recherche biomédicale sur le virus.
En effet, il a permis de mettre en œuvre des essais cliniques d’envergure grâce à une collaboration entre les ministères de la santé des trois pays concernés (Guinée, Liberia, Sierra Leone), des instituts de recherche internationaux, des laboratoires pharmaceutiques, des ONG et surtout grâce à l’engagement des populations.
Les comités d’éthique de Guinée, du Liberia et de Sierra Leone ont fait preuve d’une adaptation remarquable, face à l’urgence de la situation, pour rendre des avis dans des délais largement raccourcis. Ainsi, quarante ans après la découverte du virus Ebola, des thérapies expérimentales ont pour la première fois été administrées à des patients infectés. L’explosion de l’épidémie a provoqué un impératif éthique pour évaluer de nouvelles thérapies, permettant la réalisation de progrès médicaux considérables. Ce qui se dessine à présent en RDC n’est que la continuité, potentiellement en plus efficace, de cette première expérience en Afrique de l’Ouest.
Deux questions pourraient se poser, du même coup, avec plus d’acuité encore : est-il conforme à l’éthique d’utiliser des produits non homologués dont les effets indésirables ne sont pas encore tous connus, sachant que l’efficacité clinique pour les traitements curatifs n’est pas démontrée chez l’homme ? Inversement, serait-il éthique de ne pas proposer de telles interventions encadrées par une surveillance ou un essai clinique, sachant que celles-ci pourraient améliorer la survie des malades, face à un virus actuellement mortel dans la moitié des cas ?
Coordonner la recherche face aux menaces épidémiques
Dans de telles circonstances d’utilisation, le respect des principes éthiques applicables à tous les essais de médicaments reste indispensable. Cela inclut une information claire et adaptée, le consentement éclairé du patient, sa liberté de choix, la confidentialité, le respect de sa personne, la transparence. S’y ajoute, aussi, l’implication de la communauté autour du patient – une dimension qui a parfois été oubliée lors des précédentes épidémies. Les populations concernées vivent parfois dans des zones isolées rendant ce type d’intervention encore plus complexe, sans compter la barrière de la langue ou d’un contexte socioculturel différent.
En France, ces réflexions sont menées notamment dans le cadre du projet REACTing (REsearch and ACTion Targeting Emerging Infectious Diseases) de l’Inserm, en collaboration avec les instituts de recherche regroupés dans l’Alliance pour les sciences de la vie et de la santé. Créé dès 2013, REACTing rassemble les équipes et laboratoires français spécialisés afin de coordonner la recherche face aux menaces épidémiques. Son domaine d’action est large, de la recherche fondamentale aux sciences humaines et sociales en passant par les sciences de l’environnement, la recherche clinique, l’éthique, l’épidémiologie, la modélisation et la santé publique.
Ainsi, cette nouvelle épidémie d’Ebola doit amener les scientifiques à progresser quant à l’application des principes éthiques, en sollicitant efficacement l’avis des populations concernées. C’est une condition essentielle pour mieux lutter contre les maladies infectieuses émergentes. Par ailleurs, les réflexions provoquées par cette crise font prendre conscience à la communauté scientifique de l’obligation de moyens si toutefois l’on veut rendre possible l’innovation médicale. La réalité qui se fait jour est que la seule chance de démontrer l’efficacité clinique de vaccins et de traitements contre Ebola est de les évaluer pendant une épidémie. La République démocratique du Congo connaît une nouvelle épidémie causée par le virus Ebola. Face à l’urgence, l’éthique dicte de proposer des médicaments même s’ils ne sont pas encore homologués.
Eric D’Ortenzio est docteur en médecine, spécialiste en santé publique, à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).
Yazdan Yazdanpanah est professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses et tropicales à l’université Paris Diderot-USPC.
Cet article a d’abord été publié sur le site de The Conversation.