Jean Lassalle, le 30 avril à Pau. / IROZ GAIZKA / AFP

Les non-inscrits de l’Assemblée, des « sous-députés » ? C’est, en tout cas, en ces termes que la colère de Jean Lassalle a éclaté, mercredi 6 juin en soirée, en plein hémicycle, lors d’un débat sur le projet de loi logement. Contraint au silence par le faible temps de parole attribué aux non-inscrits, l’élu des Pyrénées-Atlantiques s’est emporté contre cette règle – « une honte » – avant de quitter les lieux.

Vendredi, c’est M’jid El-Guerrab, député de la neuvième circonscription des Français hors de France, qui a abordé en pleine séance le cas de ces parlementaires isolés, usant d’un rappel au règlement – le sixième sur ce point en une semaine.

Quelle est donc la situation de ces députés sans groupe à l’Assemblée nationale ?

Vingt élus aux profils hétérogènes

Souvent abonnés aux places du fond de l’hémicycle, ces députés, au nombre de vingt, n’ont pas beaucoup d’affinités communes. Des trois nationalistes corses aux huit membres du, désormais, Rassemblement national (ex-FN), en passant par Delphine Batho (qui a récemment quitté le groupe Nouvelle Gauche), Sylvia Pinel (anciennement Parti radical) ou encore Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France), le profil de ces élus non inscrits est pour le moins hétérogène.

A leurs divergences politiques s’ajoutent des motifs d’exclusion divers. Certains, comme l’ancien candidat à la présidentielle Nicolas Dupont-Aignan, ont fait le choix de l’indépendance, une façon de « s’extraire des pressions de groupe ». « L’avantage, c’est que l’on peut se regarder dans la glace », assure-t-il au passage.

D’autres, comme les élus du Rassemblement national, ont échoué à rallier d’autres députés à leur cause et n’ont donc pas pu franchir le seuil des quinze membres nécessaires à la constitution d’un groupe.

Avantages stratégiques

Ces députés isolés ne peuvent donc pas bénéficier des logiques collectives qui régissent le Palais Bourbon : « Le règlement de l’Assemblée ne confère pas réellement de droits aux députés individuellement, mais plutôt à leurs groupes », constate Benjamin Morel, docteur en science politique à l’Ecole normale supérieure Paris Saclay et chargé d’enseignement en droit public à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne. Conséquence : « L’essentiel du travail parlementaire est confié à ces groupes. »

Si les groupes parlementaires sont si puissants, c’est parce qu’ils ouvrent la voie à de nombreux avantages stratégiques. Avec une enveloppe d’environ dix millions d’euros à partager, ils peuvent recruter du personnel et financer leurs activités. Les groupes ont aussi un rôle déterminant dans la composition des commissions. Ces instances, où sont étudiés les textes de loi avant l’examen en séance plénière, sont, en effet, composées en fonction du poids des différents groupes.

Enfin – et c’est le point qui a fait polémique ces derniers jours –, les groupes parlementaires se voient attribuer un temps de parole dans l’hémicycle, qui est proportionnel au nombre de personnes qui les composent. Les députés non inscrits sont donc plutôt mal servis, ce qui empêche certains d’entre eux de s’exprimer comme ils l’espèrent.

« Sylvia Pinel, qui est citée plus de cent fois dans le texte sur le logement, ne peut même pas prendre la parole en raison du manque de temps ! Delphine Batho, c’était pareil sur la loi alimentation, s’offusque le non-inscrit M’jid El-Guerrab. Nous sommes aujourd’hui comme muets. » Certains, comme Nicolas Dupont-Aignan, crient à un « déni de démocratie ».

Instauration de la méthode du « tourniquet »

Après la grosse colère de Jean Lassalle mercredi, M’jid El-Guerrab a défendu leur cause vendredi en séance plénière. Son intervention a valu aux non-inscrits d’obtenir une heure trente de débat lors des discussions sur la formation professionnelle, au lieu d’une heure initialement prévue.

Quant aux questions au gouvernement, avant « c’était à celui qui appuyait le plus vite pour s’enregistrer », déplore Nicolas Dupont-Aignan. Cette règle pouvait rapidement virer au calvaire pour ces députés qui ne partagent pas les mêmes valeurs politiques.

Depuis janvier, quelques avancées ont, cependant, été enregistrées. Notamment, l’instauration de la méthode du « tourniquet » : les députés non inscrits ne sont plus en concurrence pour poser une question au gouvernement lorsque cela leur est permis. Ils disposent à présent d’un ordre de passage.

« On est encore loin du compte, mais ça avance », remarque M’jid El-Guerrab, assurant que le président de l’Assemblée, François de Rugy, lui-même ancien non-inscrit, serait « à l’écoute ».

Anna Mutelet