Manifestation proeuropéenne aux abords du parlement britannique de Westminster, à Londres, le 11 juin. | DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP

Le sort du Brexit, mais aussi le pouvoir du Parlement face à l’exécutif sont en jeu, mardi 12 et mercredi 13 juin à la Chambre des communes avec une série de votes déterminants pour la position de Theresa May dans la négociation du divorce avec les Vingt-Sept. Formellement, les députés britanniques examinent en seconde lecture le projet de loi sur la sortie de l’Union européenne (UE), un texte fleuve qui abroge le principe d’intégration automatique des textes européens dans la législation nationale, et en même temps réintègre l’ensemble de ces textes pour éviter tout hiatus.

Mais toute l’attention est concentrée sur quinze amendements que la Chambre des lords a votés contre l’avis du gouvernement, et qui visent à modérer, voire annihiler les effets du Brexit, et à donner le dernier mot au Parlement et non au gouvernement. Il suffirait qu’une quinzaine de députés conservateurs s’allient avec l’opposition pour que ces amendements soient adoptés, ce qui n’est pas impossible. Paradoxalement, les partisans d’un Brexit durs qui ont fait campagne pour préserver la souveraineté de Westminster, menacée selon eux par celui de Bruxelles, voudraient voir les députés marginalisés car ces derniers sont majoritairement proeuropéens.

Deux des quinze amendements en question pourraient, s’ils étaient adoptés, amorcer un tournant dans le processus de Brexit. Le numéro dix-neuf, qui donne un « vote significatif » (« meaningful vote ») aux députés, apparaît comme le plus crucial. Il prévoit que la Première ministre ne puisse pas signer l’accord de retrait de l’UE sans un vote formel du Parlement avant le 30 novembre prochain. Si les députés n’acceptaient pas le texte, ce qui est possible, ils pourraient obliger Theresa May soit à retourner à la table des négociations avec Bruxelles, soit même à provoquer un nouveau référendum. L’élu conservateur « rebelle » qui promeut ce texte n’est rien moins que Dominic Grieve, ancien procureur général et figure des Tories.

La menace d’un « mauvais deal »

Lundi soir, Theresa May a solennellement mis en garde les élus conservateurs. « Je tente de négocier le meilleur accord pour le Royaume-Uni. Si [cet amendement] est approuvé, cette position dans la négociation sera affaiblie. » Son gouvernement estime que dans ce cas, Michel Barnier, le chef des négociateurs de l’UE pourrait volontairement négocier avec Mme May un « mauvais deal » pour Londres en sachant que l’accord final se ferait avec les députés. La négociation, elle-même est enserrée dans un délai restreint : le Brexit doit intervenir le 29 mars 2019 et l’accord de retrait doit avoir été paraphé à l’automne 2018 pour permettre sa ratification par les vingt-sept Parlements nationaux.

Un temps brandie par Mme May, la menace d’un « no deal » n’est pas considérée comme crédible tant les conséquences, d’ailleurs peu anticipées par le gouvernement britannique, en seraient cataclysmiques. Les députés conservateurs « doivent résister à l’intimidation », tonne le Financial Times, inquiet des conséquences du Brexit pour l’économie. « Ils doivent obtenir de prendre part à l’un des votes les plus décisifs de l’histoire britannique moderne. »

Le second amendement sensible concerne le maintien du Royaume-Uni dans une union douanière européenne. Il prévoit que la loi qui rend les textes européens applicables ne puisse être abrogée avant que le gouvernement ait rendu publiques les mesures qu’il prend en vue de négocier le maintien dans cette union douanière. Theresa May est moins nerveuse sur ce second point car, même adopté, l’amendement lui laisserait davantage de marge de manœuvre. En outre, la question des douanes pourrait être discutée à nouveau en juillet à l’occasion de la discussion d’un projet de loi spécifique. A quelques heures du vote, les députés conservateurs étaient d’ailleurs soumis à d’intenses pressions pour accepter une formulation de compromis.

L’ambiguïté de Corbyn

Sans avoir de chance d’être adopté, un troisième amendement adopté par les Lords reflète la manière dont certains députés cherchent pour ainsi dire à vider le Brexit de son sens. Il entend obliger le gouvernement à négocier un maintien du pays dans l’espace économique européen (EEE, qui réunit l’Union européenne, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein), autrement dit dans le marché unique européen. Il n’a guère de chance d’être retenu du fait de l’étonnant refus du Parti travailliste de le soutenir. Alors que les conservateurs « rebelles » proeuropéens, s’accordent avec le Labour pour prôner un maintien dans une union douanière pour minimiser les contrôles à la frontière et préserver l’économie, le parti de Jeremy Corbyn a déposé son propre amendement alambiqué qui entend assurer au Royaume-Uni « le plein accès au marché unique de l’UE » et que les Tories « rebelles » ne soutiennent pas.

M. Corbyn, lui-même ambigu sur l’Europe, ne veut pas s’aliéner les élus des circonscriptions qui ont voté majoritairement en faveur du Brexit notamment par hostilité à la libre circulation des personnes, que respecte l’EEE. Il pourrait aussi s’agir de la poursuite de la tactique d’évitement du Brexit, suivi jusqu’à présent par le chef du Labour. Comme si Jeremy Corbyn préférait continuer à voir Mme May se débattre avec le dossier impossible du Brexit plutôt que de l’aider à s’en sortir. Il n’est cependant pas certain que ce calcul, qui l’a servi lors des législatives de 2017, soit payant à long terme. Selon un sondage publié lundi 11 juin, Theresa May surpasse très largement Jeremy Corbyn dans l’opinion britannique aussi bien sur la « capacité à prendre des décisions difficiles » que sur les critères de « compétence », de « force » et d’« intelligence ».