La République en marche se divise sur le sort de l’« Aquarius »
La République en marche se divise sur le sort de l’« Aquarius »
Par Alexandre Lemarié, Cédric Pietralunga
« Le silence de la France sur ce sujet a été honteux », a estimé la députée Sonia Krimi, qui a tenté, sans succès, de défendre sa position en réunion de groupe.
Ambiance de crise au sein de la majorité. Plusieurs députés de La République en marche (LRM) ont dénoncé la politique migratoire du gouvernement, mardi 12 juin, en regrettant la réaction tardive de la France sur le sort de l’Aquarius, un navire d’assistance humanitaire obligé de faire des ronds dans l’eau en Méditerranée depuis deux jours, en quête d’un port où déposer les 629 migrants qu’il a sauvés de la noyade au large de la Libye, durant le week-end.
« Le silence de la France sur ce sujet a été honteux. C’est la politique de l’autruche au gouvernement, alors qu’il devrait porter une position précise, en disant : Accueillons-les ! Le droit européen n’est pas supérieur au droit humain ! », s’est écriée, mardi après-midi dans les couloirs de l’Assemblée nationale, la députée LRM de la Manche Sonia Krimi, qui s’était déjà distinguée en s’opposant au ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, lors de l’examen de la loi asile-immigration. Devant la presse, l’élue de la Manche ne cachait pas sa colère, après avoir tenté – sans succès – de faire valoir sa position lors de la réunion hebdomadaire des députés macronistes à l’Assemblée, le matin même.
Après que sa collègue de Paris, Anne-Christine Lang, a exigé que le groupe majoritaire définisse « une position commune » sur l’Aquarius, Sonia Krimi a voulu prendre la parole mais a été coupée par le vice-président du groupe, Gilles Le Gendre (Paris), selon différents témoins. Ce dernier, qui présidait la réunion en l’absence de Richard Ferrand, l’a invitée à différer son intervention en lui promettant de revenir sur ce sujet brûlant en fin de réunion.
Jugeant « inadmissible » de ne pas pouvoir défendre sa position, la députée a alors quitté la réunion de groupe avant son terme, suivie, par solidarité, par six autres députés. Ce coup de sang illustre le malaise grandissant chez une partie des élus du parti présidentiel, qui estiment que la France a été la grande absente dans cette histoire, en ne proposant pas d’ouvrir ses ports pour se substituer à l’Italie dans l’accueil des migrants.
« Concours des belles âmes »
« La façon dont le gouvernement répond aux interpellations sur l’Aquarius, en ignorant la proposition corse et en étant dans une approche technique, alors que plus de 600 personnes sont en détresse dans la Méditerranée, ce n’est pas digne », déplore le député LRM des Bouches-du-Rhône, François-Michel Lambert, en référence à la proposition des dirigeants nationalistes corses de recevoir l’Aquarius, comme l’Espagne, après le refus de l’Italie et de Malte. Comme lui, une dizaine d’élus de la majorité – tels Brigitte Bourguignon, Hugues Renson ou Eric Bothorel – ont regretté le manque de réactivité de Paris face à ce drame humanitaire.
« Il aurait été du devoir de la France de proposer d’accueillir les quelque 600 hommes, femmes et enfants en danger », a ainsi jugé le député LRM de Marseille, Saïd Ahamada, sur Twitter, tandis que son collègue de Haute-Garonne, Sébastien Nadot, a dénoncé une « France paralysée dans sa solidarité ». Deux autres, Guillaume Gouffier-Cha et Fiona Lazaar, ont même adressé une lettre à Emmanuel Macron, pour souligner que « la France ne peut rester silencieuse devant [ce] drame humain ». Comme un air de déjà vu… En avril, la question migratoire avait une première fois divisé les marcheurs, lorsque 15 députés macronistes n’avaient pas voté le projet de loi asile et immigration.
Visiblement remonté, Richard Ferrand a tenté de recadrer ses troupes en dénonçant une « compétition démagogique », lors d’une prise de parole dans la salle des Quatre Colonnes, à l’issue des questions au gouvernement. Avant de poursuivre : « Mon dieu, ce n’est pas un problème politicien, c’est un problème d’humanité. Il est inutile de rivaliser de sottises en disant la France ceci, la France cela ! ». « Le but n’est pas de faire le concours des belles âmes, abonde la porte-parole des députés LRM, Aurore Bergé. La question est de savoir comment trouver une solution diplomatique pour résoudre la question des flux migratoires sur le long terme. »
La présidence du Conseil italien
Après un silence assourdissant de presque deux jours, l’exécutif a tenté lui aussi de reprendre la main, conscient de l’incendie qui commençait à s’étendre dans sa majorité. A l’issue du conseil des ministres, exceptionnellement décalé à mardi pour cause de déplacement de M. Macron à Montpellier puis en Vendée mercredi, Benjamin Griveaux a tenté de convaincre que « la France n’est pas restée inactive ces 24 dernières heures », précisant que le chef de l’Etat s’était entretenu avec la Commission européenne dès lundi après-midi et qu’il comptait appeler mardi les chefs de gouvernement italien, espagnol et maltais.
Engrenage difficilement maîtrisable
Selon le porte-parole du gouvernement, Emmanuel Macron a aussi mis en cause la position de Rome lors du conseil des ministres, fustigeant « une forme de cynisme » et « une part d’irresponsabilité » du nouveau gouvernement populiste italien, qui a dans un premier temps accepté que l’Aquarius rentre dans ses eaux nationales, avant de finalement lui interdire l’accès à ses côtes. Une accusation très mal reçue de l’autre côté des Alpes. « L’Italie ne peut accepter de leçons hypocrites de pays ayant préféré détourner la tête en matière d’immigration », a indiqué la présidence du Conseil dans une note qui a filtré à la presse mardi soir.
« Nous sommes évidemment prêts à aider les autorités espagnoles pour accueillir et analyser la situation des personnes » sauvées par l’Aquarius et qui pourraient bénéficier du statut de réfugié, s’est également défendu Edouard Philippe mardi après-midi à l’Assemblée nationale, lors des questions au gouvernement. Mais pas question de changer de position sur le fond. « Il n’y a pas l’espoir d’une solution nationale à ce problème, elle ne peut être qu’européenne », a ainsi rappelé le premier ministre face aux accusations d’absence de réponse de la France.
Pour l’exécutif, réagir à chaud au coup de force italien aurait été en effet mettre le doigt dans un engrenage difficilement maîtrisable. « La solution espagnole n’est pas viable à terme : à chaque fois que l’Italie va dire non à un bateau, on va attendre qu’un autre pays européen lève la main ? », met en garde un proche du chef de l’Etat. Mais le premier ministre l’a reconnu lui-même : trouver un accord avec les autres pays de l’Union sur la protection des frontières ou la relocalisation des migrants sera difficile. « Ne nous payons pas de mots, tous les pays européens ne veulent pas d’une solution collective », a-t-il concédé aux députés.
En attendant, l’opposition compte bien profiter de la valse-hésitation de l’exécutif pour marquer des points. « Aucun port français, ni Corse, ni Nice, ni Marseille, ne doit accueillir l’Aquarius, a ainsi lancé le député LR des Alpes-Maritimes Eric Ciotti, sur CNews. L’Aquarius, il a une destination toute trouvée, il faut qu’il retourne vers les côtes libyennes. » « La réaction de Salvini est salutaire (…) Il faut qu’ils retournent d’où ils viennent », a abondé Marine Le Pen sur Twitter.
Ian Brossat, le chef de file des communistes pour les élections européennes a, quant à lui, reproché à la France de n’avoir « rien dit sur le sort des réfugiés de l’Aquarius ». « Pas un mot de Gérard Collomb, pas une parole d’Emmanuel Macron, a-t-il déclaré sur Twitter. A l’image de la politique du gouvernement sur le sujet. Le néant et l’irresponsabilité. »