TV – « Succession » : l’héritage d’un « Roi Lear » à l’ère de Trump
TV – « Succession » : l’héritage d’un « Roi Lear » à l’ère de Trump
Par Martine Delahaye
Notre choix du soir. Cette série, créée par Jesse Armstrong, dépeint de manière appuyée les luttes fratricides au sein d’une famille richissime (sur OCS City à 21 h 55).
Succession (2018) Official Trailer | HBO
Durée : 01:48
Cet homme-là n’a pas accédé au sommet du pouvoir grâce à l’immobilier mais par des investissements dans les médias et les loisirs. Cet homme-là, Roy Logan (Brian Cox, léonin), né écossais et devenu richissime aux Etats-Unis, a bâti un empire à la façon du magnat Rupert Murdoch. Il a créé Waystar Royco, le cinquième conglomérat financier mondial (journaux, télévisions, télécoms et parcs d’attractions), et doit, à l’occasion de ses 80 ans, désigner son successeur. Nul suspense, à ce propos, Forbes a déjà prédit qui, de ses quatre enfants, prendrait la tête de l’empire financier : la photo de l’aîné, Kendall, vient de faire la couverture du magazine, accompagnée de ce bandeau qui claque : « L’héritier qui connaît le métier. »
Aucune passation de pouvoir n’aura lieu, en réalité.Est-ce par dépit de s’être vu évincé de la notoriété par Forbes au profit d’un fils qui n’a pas encore fait ses preuves ? Est-ce par incapacité de quitter sa position d’homme presque tout-puissant ? A la surprise générale, Roy Logan annonce, lors de la glaçante fête d’anniversaire qui ouvre la série, qu’il ne quittera son siège de PDG que plus tard, dans cinq, dix ou vingt ans peut-être. Ce qui rebat les cartes de la succession et bouleverse la place que chaque enfant peut espérer prendre au sein du conglomérat. Le champ de bataille du capitalisme entre grands groupes va dès lors se doubler d’un jeu de massacre au sein de la descendance du magnat.
Effet de malaise
Pour qu’une trame aussi peu originale que l’histoire d’une telle dynastie présente un quelconque intérêt, il lui fallait des personnages hauts en couleur, suprêmement narcissiques ou résolument excentriques, éminemment haïssables ou ridiculement ringards, voire comiques. C’est ce à quoi s’est attaché le créateur de Succession, l’Anglais Jesse Armstrong (The Thick of It,Black Mirror). Mais en poussant la caractérisation de certains d’entre eux jusqu’à la caricature, il les construit plus comme des archétypes que des personnes de chair et d’os qui peuvent nous intéresser et nous toucher.
Ce que souligne d’ailleurs la réalisation d’Adam McKay (dont le film The Big Short a remporté l’Oscar du meilleur scénario en 2016, et qui a tourné le pilote de cette série) : volontiers haché, son style renforce un effet de malaise, de tension et, par moments, de comique recherché par le créateur mais qui laisse le spectateur à distance de ce qui, trop souvent, reste du domaine d’un théâtre « soapesque » de marionnettes.
Brian Cox incarne le patriarche de la famille Logan dans « Succession », saison 1, série créée par Jesse Armstrong. / CRAIG BLANKENHORN
Déception plus importante encore, Succession nous invite à découvrir l’une des familles les plus puissantes des Etats-Unis sans jamais aborder ce que cette puissance recouvre et permet. La série montre et moque avant tout l’aspect monstrueux des rapports à l’intérieur d’une famille à la fois cimentée et déchirée par l’argent.
Certes, la fin de la saison évolue fort heureusement vers un portrait de chacun plus en demi-teinte, mais rien ne transparaît de l’usage que le patriarche fait de son pouvoir dans le milieu des affaires. Peut-être ce virage sera-t-il pris en saison 2. HBO vient de renouveler la série alors que seuls deux épisodes ont été diffusés à ce jour. Pour le moment, dans le même univers impitoyable des très grandes fortunes, la série Billions apparaît humainement bien plus riche.
Succession, saison 1, série créée par Jesse Armstrong. Avec Brian Cox, Jeremy Strong, Hiam Abbass, Sarah Snook, Kieran Culkin (EU, 2018, 10 × 60 min). Un épisode le lundi en US + 24.