La réforme européenne du droit d’auteur a franchi une étape décisive. La commission des affaires juridiques du Parlement européen a en effet approuvé, mercredi 20 juin, la controversée directive « droit d’auteur ». Le texte entend adapter à Internet un cadre juridique vieux de plus de quinze ans et soumettre les grands plateformes numériques à de nouvelles obligations vis-à-vis des créateurs de contenus.

La veille, certains de ses opposants espéraient encore bloquer l’adoption de la directive à la faveur des divisions de groupes politiques européens sur certains points polémiques. Ils devront donc porter leur bataille en séance plénière du Parlement, qui pourrait se tenir début juillet ou en septembre. Deux articles de la directive, les articles 13 et 11, ont particulièrement cristallisé les débats.

  • Davantage de responsabilités des entreprises de l’Internet vis-à-vis des artistes

La version actuelle de la directive, qui doit encore être définitivement votée puis transposée en droit national par chacun des Etats membres, vise les grandes plateformes numériques qui permettent à leurs utilisateurs de poster du contenu. Le principal acteur visé par le texte est YouTube, le mastodonte de la vidéo en ligne. La directive veut obliger la firme et ce type d’entreprises à nouer des contrats avec les représentants des artistes pour que ces derniers soient rémunérés. Une pratique qui a déjà lieu entre certains d’entre eux et les plateformes, mais qui deviendra obligatoire avec ce texte.

A défaut, ces plateformes devront mettre en place des systèmes de filtrage pour détecter automatiquement les contenus soumis au droit d’auteur (une vidéo, une chanson, une image, un texte…) et en empêcher la mise en ligne. Cette responsabilité accrue des plateformes, dérogatoire du régimé général qui veut que l’utilisateur et non l’hébergeur soit responsable du contenu qu’il poste, est une revendication de très longue date des industries culturelles.

  • « Droit voisin » pour la presse

La directive prévoit aussi la création d’un nouveau « droit voisin » pour les éditeurs de presse, définie par certains comme une « taxe des liens hypertextes » s’appliquant aux sites internet qui reproduisent et diffusent des articles d’information qu’ils n’ont pas initialement publiés eux-mêmes. Ce nouveaux « droit voisin » devrait permettre aux éditeurs de journaux et magazines d’être rémunérés, alors qu’ils estiment que certains acteurs, comme Google via son service Google News, exploitent leurs informations en ligne sans suffisamment de contreparties.

Une directive très contestée

Cette directive, proposée par la Commission européenne en septembre 2014, devra, outre le Parlement, être entérinée par les Etats membres. Elle a suscité de nombreuses réactions hostiles de la part des entreprises du secteur et des défenseurs des libertés numériques, notamment depuis l’introduction de l’obligation de filtrage des œuvres protégées.

Récemment, soixante-dix personnalités d’Internet venues des quatre coins du monde, dont les inventeurs d’Internet et du Web (dont Tim Berners-Lee et Jimmy Wales), ont accusé le texte de « transformer Internet en un outil de surveillance automatisée et de contrôle de ses utilisateurs ».

« Ces mesures vont casser Internet » a réagi mercredi, après l’adoption du texte, Julia Reda, députée du Parti pirate, affiliée au groupe écologiste du Parlement et pourfendeuse virulente du texte. Tout en reconnaissant le caractère « légitime » des enjeux, elle a critiqué la création du « droit voisin », estimant que « requérir des autorisations pour diffuser l’information ne va pas aider au financement du journalisme, mais simplement en empêcher le partage ».

Marietje Schaake, eurodéputée libérale néerlandaise en pointe sur les questions de libertés numériques, a pour sa part jugé que l’obligation de filtrage était « une menace pour la liberté d’expression » et « ouvrait la porte à un Big Brother privé ».

Jean-Marie Cavada, eurodéputé libéral français, s’est en revanche réjoui sur Twitter de l’approbation en commission du texte, dont il est un fervent soutien :

« Nous avons gagné ! Les créateurs ont enfin le droit d’être protégés dans la jungle numérique. L’Europe prend conscience que, leader dans la protection des données personnelles, elle doit le devenir dans la protection des données culturelles. »

« Personne ne veut filtrer Internet » a de son côté voulu rassurer l’eurodéputé Axel Voss (Parti populaire européen), qui voit dans le texte dont il est rapporteur un moyen de « résoudre les violations [de droit d’auteur] sur les plateformes numériques ».