Lorsque la récolte est bonne, Amina Issa Omari, agricultrice à Kondoa, en Tanzanie, obtient une trentaine de gros sacs de maïs grâce à l’exploitation de sa parcelle. Un petit butin dans ce pays où l’ugali, une pâte faite à partir de farine de maïs, constitue l’aliment de base des habitants. Mais, dès les premières semaines de stockage, son trésor est menacé : par la chaleur, par l’humidité et, surtout, par les insectes.

Ces derniers ne mettent pas longtemps à pénétrer les sacs en filaments de polypropylène utilisés. « Il y a beaucoup d’infestation », se plaint Amina Issa Omari en faisant visiter la pièce où elle garde ses réserves de nourriture, en retrait d’une cour ombragée. A mesure que les insectes se délectent, le stock diminue, mais aussi ses qualités nutritives. « Parfois, c’est tellement dégradé que je dois les jeter », ajoute la trentenaire, mère de quatre enfants.

Les pertes après récolte sont un phénomène répandu dans toute l’Afrique. Les chiffres varient d’un organisme à l’autre, mais, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), entre 10 % et 30 % des céréales récoltées en Afrique de l’Est sont perdues. Une proportion énorme au regard des besoins alimentaires, notamment dans les zones rurales et isolées.

Réduire la période de soudure

A Kondoa, où près de 80 % des habitants vivent de l’agriculture dont ils tirent aussi leur propre subsistance, l’ONG suisse Helvetas a mis en place un programme destiné à améliorer la sécurité alimentaire des foyers en réduisant la période de soudure – les mois où les réserves sont épuisées –, d’autant plus rude pour les familles que les prix ont alors tendance à flamber. Sur le marché de Kondoa, le sac de 100 kg passe ainsi de 48 000 à 60 000 shillings (de 16 euros à 23 euros), voire 120 000 shillings les mauvaises années, en cas de sécheresse notamment.

L’élément clé du programme ne paie pas de mine : un gros sac « trois en un », comprenant deux contenants souples en plastique hermétique puis un troisième en polypropylène. Cette solution, développée par l’université Purdue (Etats-Unis) grâce à des financements de la fondation Bill et Melinda Gates (partenaire du Monde Afrique), permet de stocker le maïs sans altération : sans oxygène, les insectes éventuellement présents avant le stockage meurent rapidement.

Amina Issa Omari fait partie du millier de fermiers qui ont reçu gratuitement des sacs et des formations sur leur utilisation. « Cela change beaucoup de choses pour nous, car nous pouvons conserver notre nourriture de manière sûre et vendre seulement lorsque nous le souhaitons », se félicite son mari, Mohamed. La famille peut aussi diversifier ses revenus : puisque le maïs ne manque plus, une partie de ses deux hectares de terres est désormais consacrée à d’autres cultures, comme le tournesol.

Campagnes de sensibilisation

« Grâce aux sacs hermétiques, la période de soudure est limitée à quelques semaines, voire disparaît totalement », abonde Shamim Daudi, la responsable locale d’Helvetas. Selon une étude menée par l’ONG, l’impact sur la sécurité alimentaire est significatif : les fermiers ayant reçu des sacs sont 33 % moins nombreux à déclarer manquer de nourriture ou craindre d’en manquer.

A 5 000 shillings (moins de 2 euros), le prix unitaire de ces sacs reste un budget conséquent pour ces familles, qui vivent avec environ 60 000 shillings par mois. Des campagnes de sensibilisation sont menées dans les villages, avec l’appui des autorités locales, pour souligner leurs bénéfices de long terme comparé aux sacs classiques, vendus moins de 1 000 shillings mais renouvelés tous les trois mois. La sensibilisation fonctionne, selon Mringo Estomihi, un commerçant en produits agricoles de Kondoa. « Les sacs hermétiques connaissent un grand succès. J’en ai vendu plus de 9 000 depuis 2016 », assure ce notable en chemise bariolée.

Chez Helvetas, Martin Fischler, coordinateur des projets en Afrique de l’Est, est optimiste. « Si cela fonctionne en Tanzanie, je ne vois pas pourquoi il y aurait des restrictions dans d’autres pays d’Afrique, en tout cas dans ceux qui consomment beaucoup de céréales », souligne l’agronome. De fait, les sacs de l’université Purdue sont aujourd’hui présents dans 25 pays du continent, et d’autres marques se sont développées. En Tanzanie, une usine s’est récemment lancée dans leur production à Arusha.