Brexit : deux ans de reculades britanniques
Brexit : deux ans de reculades britanniques
Par Philippe Bernard (Londres, correspondant)
Les deux années qui se sont écoulées depuis le référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ont été une succession de reculades et de concessions de la part du gouvernement de Theresa May.
La première ministre britannique Theresa May, le 23 mars 2018, à Bruxelles. / JOHN THYS / AFP
De la trompette au pianissimo. En deux ans, c’est peu dire que le ton du gouvernement britannique sur le Brexit a été decrescendo. Tout comme les indicateurs économiques qui ont vu le Royaume-Uni passer du rang d’économie la plus florissante du G7 à celui de lanterne rouge.
« Dans les deux ans, nous pouvons négocier une zone de libre-échange considérablement plus vaste que l’Union européenne (UE) », promettait David Davis, nouveau ministre du Brexit trois semaines après la victoire du « non » à l’Europe au référendum du 23 juin 2016. A la même époque, Liam Fox, autre hard brexiter (partisan d’un Brexit dur) propulsé au ministère du commerce extérieur, assurait qu’un accord avec l’UE serait « l’un des plus faciles à conclure de toute l’histoire de l’humanité ». Les continentaux, assurait-il, sont prêts à toutes les concessions pour vendre aux Britanniques leurs voitures, leurs vins et leurs fromages. Un argument ressassé pendant la campagne du référendum.
Deux ans plus tard, la « considérable » zone de libre-échange n’est même pas dans les limbes, car l’UE a interdit aux Britanniques de commencer à négocier avec des pays tiers tant qu’elle reste membre de l’Union. La politique protectionniste brutalement mise en œuvre par Donald Trump met à mal une promesse centrale des antieuropéens. Quant à l’Inde, autre terre promise selon les brexiters, elle ne lâchera rien sur le commerce sans de nouveaux quotas de visas pour ses ressortissants. Pas vraiment ce que souhaitaient les électeurs pro-Brexit, souvent hostiles à l’immigration.
Le « facile » accord commercial avec l’UE, lui, n’a commencé à être discuté qu’en mars 2018 et seules des grandes lignes devraient en être adoptées d’ici au 29 mars 2019, date théorique du Brexit, à condition que l’énorme obstacle de la frontière irlandaise, absolument non anticipé par Londres, est surmonté d’ici là.
En réalité, les deux années qui se sont écoulées depuis le référendum et plus particulièrement les quinze mois écoulés depuis le déclenchement de la procédure de retrait par Theresa May le 29 mars 2017, ont été une suite de concessions accordées par le Royaume-Uni aux Vingt-Sept de l’UE qui ont fait vaciller, voire voler en éclats les « lignes rouges » posées à l’origine par la première ministre Theresa May : sortie du marché unique européen, rejet de la compétence des juridictions européennes et de la libre circulation des personnes. Retour sur les reculs du gouvernement britannique de ces deux dernières années.
- La dette à l’Union européenne.
Les Vingt-Sept peuvent « toujours courir » pour que Londres solde sa dette, déclare le ministre des affaires étrangères, Boris Johnson, le 11 juillet 2017. Quatre mois plus tard, le Royaume-Uni accepte de payer entre 40 et 45 milliards de livres au titre de ses engagements de membre de l’Union.
- Les « dividendes du Brexit »
Le bus de campagne des partisans du Brexit. / PAUL ELLIS / AFP
Le bus de campagne des pro-Brexit promettait que la sortie de l’UE permettrait de récupérer 350 millions de livres par semaine, qui pourraient être consacrés au système public de santé (NHS). Theresa May agite toujours la promesse des « dividendes du Brexit », mais elle vient d’admettre qu’il faudrait augmenter les impôts pour renflouer le NHS. Selon l’organisme de contrôle des comptes publics, le Brexit fait perdre 300 millions de livres par semaine à l’Etat.
- La « période de transition »
« Nous n’avons pas besoin d’une période de transition et, si nous en acceptons une, ce sera pour mettre en œuvre le nouvel accord commercial conclu avant le 29 mars 2019 », assurait le ministre du Brexit David Davis en 2016 et 2017.
En réalité, Londres a bataillé pour obtenir une « période de transition » la plus longue possible pour éviter le « saut de la falaise » redouté par le patronat. Pendant cette période, limitée par Bruxelles au 31 décembre 2020, peu de chose changera – maintien du Royaume-Uni dans le marché intérieur européen –, si ce n’est que les Britanniques n’auront plus voix au chapitre. Ils devront, en revanche, respecter toutes les règles européennes, y compris les nouvelles. Cette période ne servira pas à « mettre en œuvre » un nouvel accord commercial, mais à commencer à le négocier, tant la tâche est complexe et peut durer des années.
- La sortie du marché intérieur européen et de l’union douanière.
C’est le point central de la négociation. Promesse-phare de Theresa May, elle a du plomb dans l’aile, car elle conduirait à rétablir des postes frontières entre les deux Irlande, ce qui menacerait la paix civile et étranglerait économiquement la République d’Irlande. Les promesses britanniques de contrôle automatisé des camions destinées à créer une « frontière invisible » relevant selon l’UE de la « pensée magique », Theresa May propose de maintenir l’ensemble du Royaume-Uni dans l’union douanière jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée pour la frontière irlandaise.
Une perspective refusée par l’UE qui accepte d’inclure seulement l’Irlande du Nord dans l’union douanière. Solution inacceptable pour les unionistes extrémistes, dont Mme May a besoin pour conserver sa majorité à Westminster. Et qui ne réglerait pas entièrement la question de la frontière, car elle maintiendrait les différences de normes et de réglementation.
Dans le « livre blanc » annoncé par la première ministre pour début juillet, elle pourrait suggérer de maintenir l’ensemble du pays non pas seulement dans l’union douanière, mais dans le marché intérieur européen. Mais ce maintien concernerait seulement les marchandises (pour lesquelles les Vingt-Sept ont des échanges excédentaires avec le Royaume-Uni), mais pas les services (où les Britanniques bénéficient d’un excédent et pourraient alors s’affranchir des règles européennes). Mais rien ne dit que l’UE acceptera un pareil marché, au moins sans des concessions britanniques en matière de libre circulation et de financement.
- Les accords de libre-échange.
Les brexiters promettaient de booster l’économie britannique en concluant très vite après le Brexit des accords de libre-échange en solo non plus avec l’Europe mais avec le reste du monde, Amérique et Asie en particulier. En réalité, Londres ne pourra commencer de négocier de tels accords qu’après le début de la période de transition (30 mars 2019) et ne pourra les mettre en œuvre qu’à l’issue de celle-ci (1er janvier 2021).
- Libre circulation des personnes
Michel Barnier et Jean-Claude Juncker, le 21 juin à Dublin. / CLODAGH KILCOYNE / REUTERS
Theresa May avait promis que la libre circulation des ressortissants européens cesserait à compter du Brexit, le 30 mars 2019. Sous la pression de l’UE, elle a dû accepter que les Européens arrivés au Royaume-Uni avant la fin de la période de transition (31 décembre 2020) bénéficient d’un droit au séjour de principe et de formalités simplifiées. Ce qui rend furieux la presse tabloïd qui l’accuse d’ouvrir les vannes de l’immigration (européenne).
- Les juridictions de l’UE
Leurs décisions ne devaient plus s’appliquer au Royaume-Uni, avait promis Mme May, conformément au slogan « Reprenons le contrôle » des partisans du Brexit. En réalité, ces décisions continueront à s’appliquer pendant la période de transition et leur jurisprudence probablement après.
Alors que les Britanniques réclament une solution de libre-échange avec les Vingt-Sept, la question de l’institution compétente pour régler les contentieux commerciaux reste en suspens.
- La menace de claquer la porte
« Pour la Grande-Bretagne, il vaut mieux pas d’accord qu’un mauvais accord », avait menacé Theresa May dans son discours de Lancaster House en janvier 2017. La révélation des conséquences de ce scénario catastrophe – pénurie alimentaire et de carburant, blocage du port de Douvres – a conduit la première ministre à cesser d’agiter cette menace. De même, elle a abandonné le chantage à l’insécurité (fin de l’échange de renseignement policier) qu’elle avait brandi au début des négociations.
Aujourd’hui, Theresa May semble faire contre mauvaise fortune bon cœur. Sur un air excessivement enjoué, elle exprime son enthousiasme dans une récente vidéo où elle se flatte de « mettre en œuvre le Brexit pour lequel le peuple a voté et qui offre aux Britanniques un meilleur avenir ».